Grain de sable
Par David Steinwell, Paroles protestantes
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L’évangile de Marc, qui guide les dimanches de septembre, contient une phrase prophétique de Jésus, en dehors de toute logique : « Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront pas, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance. » (Marc 9.1)
Ces prophéties qui nous dérangent
On sait que l’écriture des évangiles est tardive, plusieurs dizaines d’années après la vie de Jésus. On sait également que les rédacteurs furent plusieurs au fil du temps, infléchissant tel ou tel récit en fonction de l’évolution du christianisme naissant. La finale de l’évangile de Marc en est un exemple frappant.
Pourquoi donc avoir laissé cette prophétie du chapitre 9, alors que les disciples et leurs successeurs savaient parfaitement qu’elle n’était pas réalisée ? Oppression des juifs, chasse aux chrétiens dans l’Empire romain, tout allait contre cette parole. La maintenir fut donc un acte de foi insensé, au milieu d’un temps de désillusion.
Prendre un peu de hauteur sur les situations
Toutes choses égales par ailleurs, la population chrétienne peut ressentir actuellement une désespérance de même type qu’il y a 2 000 ans pour ce qui concerne la morosité ambiante, les réflexions sans nuances, l’exacerbation des comportements bellicistes, l’unité défaite de la société. Et pourtant, c’est dans de tels moments que résonne tout particulièrement cette prophétie ; elle semble faite pour cela, pour jouer le rôle d’espar sur un navire menaçant de sombrer dans une mer déchaînée.
Qu’est-ce qu’un espar ? Une vulgaire pièce de bois. Mât, bôme, livarde, les marins ont d’autres mots pour le nommer. Mais le rôle de ce bois est de donner à l’embarcation un peu de hauteur, une accroche solide pour que des voiles puissent être hissées et prendre un tant soit peu le vent.
Transformer, pour espérer
Ce qui manquait au monde chrétien du temps de l’Évangile, avant même qu’il fût reconnu par l’Empire, c’était l’espoir. L’espar de ce monde de l’Église naissante, c’était alors l’Évangile en cours d’élaboration, seul capable de transformer le manque d’espoir en espérance ; c’est-à-dire transformer la morosité de l’instant en capacité d’espérer.
Voir plus loin que la vague qui vient, voir plus haut pour discerner demain, telle est la fonction de ces versets parsemés au long des évangiles, malgré tout et malgré l’évidence. Pourtant à bout d’attente, le peuple chrétien a pu s’accrocher à ces mots, laisser passer la houle et se laisser guider par le vent, cet Esprit qui souffle où il veut et quand il veut. Voir plus loin, plus haut et malgré l’évidence, cela se nomme l’éthique.
Maintenir une espérance
On attend encore la réalisation de cette parole du Christ : « Quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront pas, qu’ils n’aient vu le royaume.» Mais sa première vertu a été de tenir les âmes claires et droites sous la pression de l’Empire polythéiste. Sa seconde vertu tient peut-être au caractère symbolique des évangiles, tous différents et donc soumis à une nécessaire interprétation.
Or pour ces milieux issus du judaïsme, l’une des lectures touche à la réalité existentielle de l’être humain. À chaque vie, à chaque génération se répète cette prophétie : quelques-uns ne mourront pas avant d’avoir vu le royaume. Une part de chaque être humain est concernée par cette parole. La seconde vertu de la prophétie est ainsi de maintenir à flot une espérance, même aujourd’hui, surtout aujourd’hui. L’Évangile peut être un espar* dans la vie de tout être.
* NDLR : Sur un bateau, un espar est un élément de gréement long et rigide, ayant un rôle technique à jouer dans la propulsion à voile et les manœuvres (source : Wikipédia).