Par Christian Roux, Église protestante unie de Rennes
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De nombreux livres de Loti contiennent une référence à sa confession protestante et évoquent son rapport à la foi de son enfance. Sans avoir fait un recensement exhaustif, une rapide recherche à partir de quelques ouvrages de ma bibliothèque confirme cette préoccupation de Loti, la nostalgie de la foi et son désespoir de l’avoir perdue.
À la recherche de la foi
Dans son livre Le roman d’un enfant, il parle d’ancêtres qui avaient quitté la France au moment de la révocation de l’Édit de Nantes et qui écrivaient au vieux grand-père resté à l’île d’Oléron, trop âgé pour prendre le chemin de l’exil, des tombes attenantes à leur ancienne habitation, de la vivacité de sa foi enfant mais aussi du doute qui commençait à le saisir même s’il la retrouvait à la fréquentation du vieux temple de Saint-Pierre-d’Oléron et pensait même devenir pasteur.
Dans son roman Prime jeunesse, il rend de nouveau hommage à ce vieux temple d’Oléron avant de partir à Brest et rappelle que c’est dans ce temple, donné par un arrière grand-oncle, qu’il se sentait le plus près du Dieu de son enfance. Il ajoute même que c’est dans ce temple de village que ce jour-là une véritable prière chrétienne jaillit de son âme pour la dernière des dernières fois.
Tout au long de sa vie, Loti restera à la recherche de la foi et fera part de sa souffrance de ne pas arriver à la retrouver. Dans Jérusalem, il espère un moment l’avoir fait derrière le pilier où il pleure et en appelle au Christ mais la fin est moins optimiste puisque, s’il invite le lecteur à « le chercher… puisqu’en dehors de Lui il n’y a rien, peut être Le trouverez mieux que je n’ai su le faire », il conclut le livre en bénissant cet instant court… « en attendant que le néant me réapparaisse, plus noir, demain ».
La simplicité des obsèques de Loti peut certes s’expliquer par la distance, non exempte de nostalgie et de regret, qu’il avait avec le protestantisme mais aussi par la nature même de la confession protestante et son rapport avec la mort.
Répondre à l’appel de Dieu
Cette simplicité protestante résulte de la théologie et d’une explication qui remonte à la naissance même du protestantisme. Martin Luther, moine augustin, participe pleinement, à la fin du Moyen Âge, à la recherche du Salut. C’est un bon moine qui suit la règle avec une scrupuleuse rigueur et devient un bibliste reconnu. Petit à petit il est convaincu que la réponse à sa question existentielle, comment gagner son Salut ?, se trouve dans les Écritures et que l’homme, loin de chercher son salut par son action, ses œuvres, doit simplement répondre à l’appel de Dieu par la foi (Paul, Épître aux Éphésiens 2.8-9 « C’est par la Grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil ». Pour faire simple, l’homme n’est pas sauvé par ses œuvres (ses actions, son comportement) mais le Salut est donné gratuitement par Dieu et c’est à l’homme de se saisir de cette Grâce. Ce n’est pas ce que l’homme fait qui le sauve mais c’est ce qu’il croit. Par la suite, la vente d’indulgences pour éviter ou raccourcir le séjour au purgatoire sera l’élément déclencheur de la révolte de Luther contre Rome. Ce contexte explique le rapport des protestants avec la mort.
En 1563 l’Édit d’Amboise a imposé que les protestants soient inhumés nuitamment sans accompagnement. À compter de la révocation de l’Édit de Nantes, les protestants ont été interdits de cimetière et ils étaient enterrés où ils pouvaient. C’est ainsi qu’est née la tradition des « cimetières de famille », quelques tombes dans un jardin entourées ou non par des murs. Chaque famille a le sien dans les régions protestantes, sans caveau, des tertres très simples, une pierre très simple avec un verset biblique. L’auteur de ces quelques lignes se souvient avoir vu, à l’occasion d’un voyage dans les Cévennes et d’un séjour dans une chambre d’hôtes, quelques pierres dans une partie du jardin sous lesquelles reposaient les lointains ancêtres du propriétaire. Pour Calvin, les funérailles devaient être honnêtes et décentes sans pratiques considérées comme superstitieuses : pas de pierre tombale, pas de prêche au cimetière, pas d’offrande.
Prévenir toute superstition
Aujourd’hui, les services funèbres protestants restent marqués par la tradition et la théologie. On ne prie pas pour le défunt qui est dans la main de Dieu. L’équivalent de messes pour le défunt est ainsi tout à fait inconcevable car on ne marchande pas avec Dieu. L’ancienne discipline de l’Église réformée de France stipulait « qu’il ne se fera aucune prière ou prédication ou aumônes publiques aux enterrements pour prévenir toute superstition ». L’actuelle Constitution de l’Église protestante unie de France, née en 2013 de l’union de l’Église réformée de France et de l’Église évangélique luthérienne de France, hors l’Alsace/Lorraine soumise au Concordat, prévoit dans son article 35 que « … s’adressant aux vivants, les services célébrés à la suite d’un décès ont pour but d’annoncer l’Évangile de la résurrection en vue de la consolation des affligés, de l’édification et de l’évangélisation. La méditation est centrée sur la Parole de Dieu sans jamais prendre le caractère d’un panégyrique ». Dans ces dernières volontés Loti précisait « Je supplie qu’il n’y ait aucun discours sur ma tombe. Rien que l’oraison dominicale dite par le pasteur ». Il ajoutait « Je supplie que l’on brise le cercueil quand il sera dans la fosse d’un coup de pioche du côté des pieds afin que la terre y puisse entrer ». Sans doute une référence, un clin d’œil, à l’Islam qui a toujours fasciné Loti et qui, dans les pays musulmans, enterre les morts en pleine terre.
Claude Farrère, qui fut aussi officier de marine et écrivain et qui servit sous ses ordres, disait que Loti est un agnostique qui ne se résigna jamais à renoncer à Dieu. Souvenons-nous aussi que lorsque Loti accepta de se marier, sa deuxième condition fut que sa future femme soit protestante, la première étant qu’elle soit plus petite que lui.
Pour conclure, je paraphraserai le fameux dicton « marin un jour, marin toujours » qui certes s’applique à Loti mais que l’on peut, toujours pour Loti, doubler par « protestant un jour, protestant toujours ».
Pour en savoir plus sur Pierre Loti
→ Lire l’article paru sur ce site en mai 2023 : Pierre Loti, le romancier, impressionniste et marin d’Oléron.
→ Site de l’Association internationale des amis de Pierre Loti.
* Article paru dans le bulletin n°43 de l’association internationale des amis de Pierre Loti à l’occasion du centenaire de l’écrivain.