
par Jean Loignon, Eglise protestante unie de Loire-Atlantique
Chaque 17 février, des feux de joie illuminent les hauteurs de quelques vallées italiennes, sur le flanc oriental des Alpes. Que célèbre-t-on ainsi ? La reconnaissance en 1848 par le roi du Piémont Charles-Albert des Eglises vaudoises1, première forme historique du protestantisme italien. Décryptage d’un événement qui plonge ses racines au cœur du Moyen Age, qui raconte l’étonnante opiniâtreté d’un courant précurseur de la Réforme en Europe et qui a joué un rôle non négligeable dans le développement de la francophonie.
Pierre Valdo, marchand lyonnais
Tout commence avec la démarche spirituelle d’un marchand lyonnais de la fin du 12ème siècle, un certain Pierre Valdo (ou Vaudès). Emu par les inégalités entre riches et pauvres, y compris au sein de l’Eglise catholique, cet homme vit à la lettre le récit évangélique dit « du jeune homme riche » (Mt 19, 16-26) et décide de vendre tous ses biens ; il forme un mouvement de laïcs, les Pauvres de Lyon, qui essaime dans le Sud-Est de la France. L’itinéraire de Valdo ne diffère guère de celui d’un jeune Italien qui agit de même à la même époque : Giovanni Bernadone, plus connu sous le nom de Saint François d’Assise. Mais si ce dernier reste, en fondant l’ordre des Franciscains, dans le giron de l’Eglise qui le canonise, Valdo et ses disciples surnommés Vaudois réclament eux le droit pour les laïcs de prêcher et de lire les Ecritures dans leur langue, un dialecte franco-provençal. Cela leur vaut d’être désignés comme hérétiques et donc d’être pourchassés par l’Inquisition qui les assimile (faussement) aux Cathares, autre hérésie férocement réprimée.
Les Vaudois plongèrent dans la clandestinité (ce qui ne facilite pas la recherche historique) et se réfugièrent dans des lieux reculés, dont les vallées alpines d’Italie ; certains s’exilèrent plus loin en Bohème et se fondirent dans le mouvement réformateur tchèque initié par Jan Hus (condamné au bûcher par le Concile de Constance en 1415).
L’adjectif « vaudois » n’a pas de rapport avec le canton de Vaud (Lausanne) en Suisse.
Les Vaudois, à l’origine de la Bible d’Olivétan
Au 16ème siècle, les Vaudois des Alpes italiennes entendirent parler de la Réforme à Genève lancée par Guillaume Farel : ils estimèrent que ces nouvelles idées correspondaient à ce qu’ils avaient toujours défendu et conservé depuis trois cents ans et réunis dans un très champêtre « synode » au lieu-dit le Chanforan en 1532, ils votèrent leur adhésion à la Réforme protestante. Mais ces néophytes zélés ne s’en tinrent pas là : ils voulaient lire au quotidien les Ecritures mais, modestes paysans restés francophones, ils n’avaient pas accès aux éditions latines. Consulté, Farel leur suggéra habilement de financer une traduction complète de la Bible en français, à partir de l’hébreu et du grec. Une démarche pionnière qui séduisit les Vaudois, heureux de s’approcher au plus près des Ecritures. Ils prirent contact avec le Picard Pierre Robert, cousin de Jean Calvin, également rallié à la Réforme et exilé à Neuchâtel en Suisse. Les Vaudois se cotisèrent donc, embauchèrent le traducteur et, dit-on, lui fournirent de l’huile d’olive pour qu’il puisse s’éclairer la nuit et avancer plus vite dans son ouvrage. Le fait est probablement légendaire mais Pierre Robert, désormais appellé Olivétan, fournit en 1535 la première traduction complète de la Bible en français, qui fit autorité2 et fut maintes fois rééditée et révisée.
On sait l’importance de la traduction de la Bible en allemand par Luther, non seulement pour la diffusion de la Réforme mais aussi pour l’essor de la langue allemande, jugée désormais digne de transmettre la Parole divine. La traduction d’Olivétan participa donc à la promotion de la langue française, divisée jusque-là en dialectes populaires, au même titre que l’Edit de Villers-Cotterêts (1539) qui fit du français la langue officielle du royaume ou du manifeste du poète Du Bellay « Défense et illustration de la langue française » en 1549, prônant une Renaissance littéraire… en français.
2On lui doit l’expression « l’Eternel » pour traduire le nom hébraïque de Dieu.
Une Eglise persécutée
Mais cela n’empêcha pas les généreux Vaudois de subir maintes persécutions : une branche de leur communauté, revenue en Provence dans la région du Lubéron fut impitoyablement massacrée lors d’une « croisade » décidée par François 1er. Plus tard, les efforts de Louis XIV pour éradiquer « la Religion Prétendue Réformée » en France s’étendirent aux vallées alpines d’Italie et les Vaudois pourchassés durent quitter leurs villages incendiés pour s’exiler à Genève. Mais par la faveur d’un soutien diplomatique de l’Angleterre protestante, ils purent revenir – à pied par les sentiers alpins – dans leurs vallées en 1689. Cette équipée aventureuse, à travers mille dangers, des Vaudois conduits par leurs pasteurs marchant à leur tête, devint le mythe refondateur de leur communauté, revivant la marche des Hébreux conduits par Moïse vers la Terre Promise.
L’incroyable résilience des Vaudois, pourtant extrêmement minoritaires dans le pays du Pape, leur savoir-faire diplomatique, leur permirent d’obtenir enfin en 1848 la reconnaissance de leur foi et de leur identité, au moment où le roi du Piémont était l’acteur-clé du Risorgimento, ce grand mouvement laïque pour l’unité italienne.
Une Eglise toujours présente en Italie
Le protestantisme italien a profondément évolué avec les missions méthodistes et baptistes au 19ème siècle mais la minuscule Eglise vaudoise a su négocier d’égal à égal des accords avec l’Etat italien. Toujours présente dans les Alpes, notamment à Torre Pellice, mais aussi en Sicile3 et dans le Rio de la Plata de par l’émigration italienne en Argentine et en Uruguay, elle maintient le flambeau, digne de sa devise (en latin !) : « Lux lucet in tenebras » (la lumière brille dans les ténèbres).
3Fondé en 1961 par le pasteur Tullio Vinay, le centre de service chrétien de Riesi s’est voulu un lieu pacifique de lutte contre la Mafia.
Jean Loignon
La glorieuse Rentrée des Vaudois vers leurs vallées italiennes en 1689, sous la conduite du pasteur Arnaud
Pour aller plus loin :
https://www.chiesavaldese.org/
Giorgio TOURN, Les Vaudois, l’étonnante aventure d’un peuple-église, 1999, Ed. Claudiana