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Suzhou River
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Un film de Lou Ye (2000/2022). Sortie DVD le 28 décembre 2022, 1 h 19.
Rivière mère de la ville de Shanghai, sur les bords de laquelle Lou Ye a passé sa jeunesse, le fleuve Suzhou est un réservoir de pollution, de chaos et de pauvreté, mais aussi, dit-il, « un refuge pour les souvenirs ». Ce deuxième film, écrit en 2000 et toujours interdit en Chine, reparaît restauré et raconte une histoire d’amour teintée d’onirisme, tournée clandestinement en caméra subjective dans les rues de Shanghai. Il suit les vies de quatre personnages marginaux : un vidéaste qui s’avère être aussi le narrateur de l’histoire et dont on ne voit jamais le visage, Meimei, une danseuse travaillant dans un bar, Mardar, un jeune coursier à moto, et Moudan, la toute jeune fille de 16 ans d’un riche trafiquant. Alors que celui-ci demande à Mardar de transporter en ville Moudan chez sa tante, les deux jeunes gens tombent amoureux.
Moudan s’avise cependant que Mardar l’a en réalité kidnappée pour une rançon, et elle en est si bouleversée qu’elle saute d’un pont dans le fleuve. Mardar est suspecté de meurtre et incarcéré. Lorsqu’il sort des années plus tard, il rencontre Mei-Mei, sosie parfait de Moudan, qui le fascine et qu’il poursuit, dans le deuil impossible de son amour. Tout au long du film, qui se déroule dans l’ambiance interlope des quais, loin du Shanghai moderne, le spectateur reste conditionné par la voix off du vidéaste qui raconte très subjectivement les histoires de chacun et se permet curieusement de modifier certains faits…
Cette œuvre, qui évoque Vertigo d’Alfred Hitchcock et son thème du double féminin, est une envoûtante histoire d’amour empruntant aux registres du polar et du fantastique. La mise en scène déploie tour à tour des points de vue documentaires et des élans romanesques. Au plus près des personnages, la caméra portée à l’épaule multiplie des plans très fluides ; et les scènes romantiques, filmées avec beaucoup de grâce, ont une beauté et une légèreté qui contrastent avec l’aspect ingrat de ce Shanghai des quais. Une bande originale captivante complète l’immersion du spectateur dans un conte mélancolique situé à mi-chemin entre onirisme et noirceur ; et ce rêve éveillé n’est pas sans rappeler le climat des films de Wong Kar-wai.
Jean-Michel Zucker
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