Un arbre au jardin d’Éden

© Patrice Bouton

Un conte inspiré par les propos de Michel Block lors du séjour Bible et randonnée fin septembre à Saint-Michel-Chef-Chef.

J’étais un arbre quelque part dans le jardin d’Éden, il y a des millions d’années. Les oiseaux venaient se poser sur mes branches, ils y faisaient leur nid. À mes pieds, des fleurs de toutes les couleurs, de toutes formes, de toutes tailles.

Je descends d’autres arbres issus d’un fameux premier troisième jour. Au long des siècles, nous avons dispersé nos fruits pour faire germer de nouveaux arbres et de génération en génération d’arbres, je suis toujours là. J’ai vu un homme et une femme un peu perdus se faire chasser du jardin par une voix venue du ciel et ils sont repartis, penauds, vers d’autres cieux. Après, beaucoup d’humains sont passés par là avec des sacs pour cueillir les fruits, avec des haches pour couper mes frères les arbres, ou sans rien, pour profiter de la paix des lieux. Quand des bûcherons frappaient mon tronc de leurs outils, je courbais l’échine sachant que mes fruits avaient eu le temps de germer quelques pas plus loin. Ces humains, je les ai vus avec des arcs et des flèches pour chasser les biches lovées dans le creux des clairières. J’en ai vu faire des charpentes pour leurs maisons, des manches de pioches, des lances et des instruments de musique. J’ai vu des couples d’amoureux s’assoir sur les souches et s’embrasser à l’abri des feuillages et loin des regards. J’ai vu des gens se disputer des arpents de forêts avant de commencer leur coupe. Et de siècles en siècles j’étais toujours là, ou mes fils, mes petits-fils, mes arrière petites-filles…

Un jour, de fiers bûcherons ont débroussaillé mon coin de forêt, ils se sont attaqués à mon écorce et ils m’ont abattu puis élagué… À partir de mon tronc, ils ont fait deux poutres, une longue, une autre un peu moins longue. Ils ont, au milieu de la petite, réalisé une entaille et sur l’autre aussi, au quart de la hauteur pour les assembler à mi-bois en croix. Je les ai vus partir de la forêt, contents de leur travail, la portant sur leurs épaules jusqu’à la ville.

Quelques jours plus tard, j’ai entendu au loin la foule crier, le fouet claquer, l’orage gronder, la terre trembler, les femmes pleurer, une pierre rouler, les tombeaux s’ouvrir. J’ai aussi entendu des chants de délivrance et la vie reprendre son cours.

Stéphane Griffiths

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