Grains de sable
Par le pasteur Samuel Amedro, président du conseil régional de la région parisienne
Comme on criait naguère en Amérique du Sud : « Libertad o Muerte ! » Parce que l’humour constitue à mes yeux un médicament particulièrement efficace pour la guérison du monde.
Certes, on connaît tous la face sombre de l’humour, faite de moquerie humiliante et de dérision cynique. Elle ressemble parfois à une grimace déformante, au rictus de la méchanceté. Mais est-ce une raison pour se priver du plaisir d’un éclat de rire ?Posologie : plusieurs fois par jour !
L’humour est d’abord un acte de libération. Il y a dans le rire le refus conscient et volontaire de se laisser submerger par les vagues du malheur et de « dé-coïncidence », pour reprendre les mots de François Jullien. C’est en soi un cataplasme de désacralisation qu’il faut appliquer chaque jour se libérér de l’idolâtrie et du fanatisme.
L’humour est aussi un acte d’humilité, parce qu’il faut bien reconnaître qu’il y a des situations que nous avons créées mais qui nous échappent et nous dépassent, et pour lesquelles nous n’avons pas de solution à vue humaine. Il est salutaire ce regard amusé sur soi, qui reconnaît sa propre limite. C’est un sirop de vérité à prendre chaque jour pour se soigner de la démesure de l’humain qui pense toujours pouvoir trouver une solution à toutes les catastrophes alors que, bien souvent, il est à lui seul la source du problème.
Rien d’impossible à celui qui sait rire
L’humour constitue, enfin, un acte de création. Je crois – et c’est un acte de foi – que l’humour pourra toujours rouvrir du possible, par la voie étroite de l’incongru et de l’inattendu, comme la chute d’une bonne blague que l’on n’attendait pas. Et c’est en soi une sorte de miracle d’imaginer que l’impossible et l’extravagant peuvent se produire et que le dernier mot n’a pas été prononcé, comme pour Abraham et Sarah, quand on leur a annoncé qu’ils allaient avoir un enfant alors que la vieillesse avait déjà mis un sacré coup de frein à leur rêve. Un véritable pied de nez au destin et à la fatalité. Il y a dans l’humour l’assurance sereine que tout est possible à celui qui rit parce que la joie porte en elle une puissance de vie bien plus forte que la mort.
De l’humour jusque sur son lit de mort
Mais, en vérité je vous le dis, les religieux se prennent bien trop au sérieux pour oser mettre l’humour à l’honneur ! Et ce n’est pas l’image de « joyeux drilles » qui colle aux basques des musulmans comme des chrétiens, fussent-ils catholiques ou protestants… Puissions-nous prendre exemple sur le judaïsme, seule religion à avoir le rire comme patriarche puisque c’est là la signification hébraïque du nom d’Isaac, fils d’Abraham : « Il rira. » Souvenons-nous de cette blague juive spécialement adaptée pour les temps sombres, quand Isaac sur son lit de mort disait à sa femme Rebecca : « Rebecca mon amour, je me souviens, tu étais là près de moi quand on a été déportés et qu’on a tout perdu, n’est-ce pas ? – Oui Isaac, j’étais là… – Tu étais encore là à mes côtés quand on a fait faillite avec l’épicerie, non ?… – Oui Isaac, j’étais là avec toi… – Et tu étais là aussi quand j’ai eu mon cancer du côlon ? – Oui Isaac, j’ai toujours été là, tout près de toi… » Isaac réfléchit un instant : « Rebecca, au fond, je me demande si tu ne me portes pas un peu la poisse… »
Si les symptômes persistent…
Et si nous laissions déborder un peu de joie exubérante comme un grand éclat de rire ? Et tant mieux si, comme les disciples à la Pentecôte, on pense de nous qu’on a un peu forcé sur la boisson ! Moi, je suis le disciple du gars qui a changé l’eau en vin… et pas l’inverse. Pour ma part, j’aimerais mieux être un jovial saint François d’Assise, chantant son hymne au soleil, qu’un vieux réformé rabougri et renfrogné ! Et puis permettez moi une dernière facétie en forme de petite suggestion : si votre dieu ne vous fait jamais rire, il faudrait peut-être songer à changer de dieu ! Parce que ce dont vous êtes porteur n’est certainement pas une Bonne Nouvelle…