Je veux voir l’enfant Jésus ! *

Noël 2014. Dans ma petite ville morne, tout fait évènement et la presse locale ne cesse d’annoncer qu’à l’initiative d’une association qui se dévoue pour l’animation du centre-ville au moment de Noël, les habitants sont conviés à ériger collectivement un immense éléphant, qu’ils illumineront ensuite.

La crèche réalisée en 1962 par le grand-père de Jocelyne Cathelineau © Mathilde Micard

 

 

Par Jocelyne Cathelineau, Église protestante unie de Melle-Celles-Saint-Maixent

Un éléphant ? Pourquoi pas, vu la période, un bœuf, un âne, ou encore un des moutons des bergers ? J’oublie que la fête qu’on prépare est si peu chrétienne…

 

Une crèche vivante

 

Veille de Noël 2002. Mes amis Cécile, Dinesh, Jean-Luc et moi sortons d’une galerie marchande de Nimègue (Pays-Bas) les yeux éblouis par les néons, les guirlandes clignotantes, les oreilles lassées par la musique à plein tube. Sur la petite place qui fait suite à la galerie, mouillée de pluie, surprise, une crèche vivante ! Notre ami Nicolas qui nous guide, et vit et travaille à Nimègue, nous explique que dans cette petite ville universitaire et cosmopolite, où se rencontrent toutes les nationalités et toutes les religions, les catholiques tiennent à installer tous les ans cette crèche, qui rencontre un grand succès.

 

Pour l’heure, ce doit être l’heure de la pause, les bergers ne sont pas là, ni les moutons. Il n’y a qu’un âne sous un auvent. Un Saint Joseph qui nous paraît très jeune, avec une barbe postiche, lui fait grignoter une carotte, l’air de s’ennuyer. Marie est peut-être cette jeune fille très brune qui, à quelques mètres, sa longue robe bleue posée sur la barrière, fume une cigarette, en jeans et talons hauts. Au pied de l’âne, une grande caisse remplie de paille figure la mangeoire. Il y a un creux dans la paille.

 

Nous nous approchons intrigués lorsqu’un grand cri, répété, nous perce les oreilles. Auprès de la crèche, un garçonnet roux, de huit ans peut-être, tire sur le bras de sa mère qui, chargée de paquets, essaie de gagner l’entrée de la galerie marchande. Nous demandons à Nicolas « Que dit cet enfant insupportable ? » Nicolas « Il crie : Ik wil het Kind Jesus zien ! Ce qui veut dire : Je veux voir l’Enfant Jésus ! ».

 

Un projet commun

 

Nous partons sans savoir qui aura raison de l’autre, l’enfant qui veut voir le petit Jésus, ou la mère qui veut finir ses courses de Noël…

Retour en 2014. À l’heure où nous cherchons quel cadeau offrir à notre vieux papa qui a déjà tout, et nous cassons la tête pour déterminer quoi manger au réveillon, de quelle couleur sera la déco du repas paroissial, verte et rouge, ou blanche et dorée… et nous nous demandons si nous aurons le temps d’aller chez le coiffeur avant les fêtes… il m’arrive de repenser à cet enfant qui, malgré les apparences, ne faisait pas un caprice mais désirait l’essentiel.

 

Les Saint-Maixentais qui le désirent vont bâtir un éléphant, tant pis, ou plutôt tant mieux, car dans ce projet commun, ils se parleront, peut-être que des amitiés durables se noueront et ils seront fiers à plusieurs du travail accompli. On appelle cela de la fraternité.

 

Nous pouvons, en tant que chrétiens, participer à ce projet qui n’est pas un nouveau Veau d’Or. À condition de garder en mémoire que l’essence de Noël n’est pas dans les déambulations illuminées et les paillettes des supermarchés. Que Noël est la célébration renouvelée d’un miracle, du plus beau cadeau que Dieu ait fait à ceux qu’il aime : la naissance d’un Sauveur.

 

Une crèche chrétienne

 

Et nous voici en 2023, bientôt Noël… La salle paroissiale a été vendue avec le presbytère, la question du menu et de la déco ne se pose plus. Notre Église sans enfants ne décore plus de sapin. À Saint-Maixent, l’association « Faites des lumières » a pris une grande ampleur, s’assurant chaque année d’une plus grande participation des habitants. Ils mettent la main à la pâte et fabriquent avec ardeur d’étranges décorations comme des méduses avec des parapluies abîmés et des fleurs avec des canettes découpées…

 

La nouvelle organisation des cultes de notre Église fait qu’à Saint-Maixent, il n’y aura culte qu’un seul dimanche de l’Avent, le dernier. Ce jour-là, nous allumerons en même temps les quatre bougies rituelles, au centre d’une couronne enrubannée. Je vais poser sur la table la crèche faite par mon grand-père en 1962, mais dont les sujets plus récemment achetés sont péruviens. Les personnages sont très bronzés et un des moutons est remplacé par… un lama. Quelle importance… Entourée de lierre et de houx, la scène de la Nativité plaît toujours, et il y a quelques années, comme elle était restée au temple en janvier, les amis catholiques venus pour la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens étaient très heureux de la voir. Une crèche protestante ? Disons juste chrétienne…

 

* Cet article, jusqu’au mot « Sauveur », écrit fin 2014, est l’éditorial de ce qui était alors « Onésime » le bulletin paroissial de l’Église protestante unie de Saint-Maixent-Souvigné et La Mothe Saint-Héray. Depuis, ces deux Églises du Poitou ont fusionné avec d’autres Églises proches. L’article a été augmenté de réflexions sur le Noël 2023.

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