Projet de loi sur la fin de vie, regard d’une médecin

Béatrice Birmelé est depuis janvier médecin en HAD (hospitalisation à domicile). Néphrologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours durant une grande partie de sa carrière, elle a créé et dirigé pendant plusieurs années l’espace de réflexion éthique en région Centre Val-de-Loire et au CHU. Elle est également membre de l’Église protestante unie de Touraine et nous fait part de ses réflexions concernant le projet de loi sur la fin de vie.

 

Propos recueillis par Élisabeth Renaud

 

Que dit la loi Léonetti ?

 

Pour évoquer le projet de loi, il faut bien savoir ce qui est déjà autorisé aujourd’hui car la loi Léonetti est très mal connue. Cette loi de 2005 a été complétée par la loi Claeys-Léonetti en 2016 qui interdit l’acharnement thérapeutique et permet le refus de l’obstination déraisonnable.

 

Le patient peut refuser un traitement, même vital, s’il considère que ce traitement relève d’une obstination déraisonnable. Le médecin doit suivre cette demande, en s’assurant que le patient a bien compris les tenants et aboutissants et que c’est sa volonté. Si le patient ne peut pas l’exprimer, il appartient à l’équipe soignante de déterminer si un traitement, même vital, relève de l’obstination déraisonnable ou pas.

 

Il faut absolument tenir compte des directives anticipées du patient sauf si elles sont manifestement inappropriées ou dans l’urgence. S’il n’y en a pas, c’est le témoignage de la personne de confiance ou des proches qui informe du souhait du patient. Il faut savoir que le témoignage de la personne de confiance prime sur celui des membres de la famille. Il faut également l’avis d’un deuxième médecin extérieur. La décision d’arrêter le traitement reste médicale.

 

Ce que précise la loi Clayes-Léonetti et qui n’était pas dit dans la loi Léonetti, c’est que la nutrition et l’hydratation artificielles peuvent être considérées comme un traitement et donc comme une obstination déraisonnable.

 

Vincent Lambert est décédé de sa pathologie neurologique même si la mort a fait suite à l’arrêt de la nutrition.

 

De plus la loi Claeys-Leonetti autorise la sédation profonde et continue en cas de souffrances réfractaires chez une personne en fin de vie. Elle demande également de développer l’accompagnement en soins palliatifs, qui est indispensable dans toutes ces situations.

 

Quelles sont les limites de la loi actuelle ?

 

La loi actuelle ne répond pas à des personnes qui ne sont pas en toute fin de vie ainsi qu’aux personnes qui n’ont pas de traitement vital pouvant être arrêté. Quelqu’un qui a une maladie de Charcot par exemple sait comment va évoluer sa pathologie et comment il va mourir. La personne peut décider de refuser la nutrition artificielle, et/ou la trachéotomie mais on n’a pas le droit de faire un geste qui accélère le processus de mort. Il existe un certain nombre de pathologies (sclérose en plaque ou maladie de Parkinson très sévère) où les personnes disent ne pas vouloir se voir mourir. Comment les soulager ? Pour beaucoup, savoir qu’on a la possibilité d’avoir recours au suicide assisté ou à l’euthanasie a un côté rassurant qui permet d’avoir un contrôle sur sa vie.

 

En Oregon (États-Unis), le suicide assisté est autorisé pour des personnes ayant une pathologie lourde. Leur médecin peut prescrire un traitement provoquant la mort. La personne achète le médicament et le prend seule chez elle. Une étude a montré que 50 % des patients ayant eu une ordonnance n’ont pas acheté le traitement et que 50 % des personnes l’ayant acheté ne l’ont pas pris. Cette demande d’ordonnance est le reflet d’une société où l’on veut tout contrôler et être rassuré pour le jour où cela n’ira plus du tout.

 

Beaucoup de personnes qui demandent cette aide à mourir ne vont pas au bout. Pour ceux qui veulent aller jusqu’au bout, ils n’en ont pas la possibilité en France. Ils vont en Belgique pour une euthanasie ou en Suisse pour un suicide assisté. En Belgique, le geste fatal est réalisé par un médecin dans un hôpital, alors qu’en Suisse, c’est la personne elle-même qui va déclamper la perfusion pour injecter le produit au sein d’une association avec l’aide d’un bénévole ou d’un médecin et non à l’hôpital. On est bien dans le suicide assisté.

 

Savez-vous ce que contiendra la prochaine loi ?

 

Le projet de loi reste une inconnue. L’idée est de pouvoir faire un geste actif pour aider à mourir. Suicide assisté ou euthanasie, ce n’est pas très clair.

 

Le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) a donné un avis en septembre 2022 plutôt en faveur du suicide assisté mais en précisant que justement, les personnes ayant des maladies neuro évolutives sévères n’ont souvent pas la motricité pour prendre des médicaments. Si le suicide assisté était autorisé, la loi ne répondra pas à ces personnes-là car elles ne seront pas capables de le faire elles-mêmes. L’euthanasie ou suicide assisté ne répondent pas non plus à des personnes qui ne sont pas conscientes ou ne peuvent pas le demander.

 

La loi devait sortir début 2023, puis avant l’été, puis en septembre, elle a encore été repoussée. Oliver Abel écrit qu’un geste pour aider à mourir peut être considéré comme un geste ultime de soin palliatif chez une personne en souffrance majeure. C’est quelque part très juste mais comment dans une loi autoriser ce geste sans empêcher les dérives ? On ne peut pas y mettre toutes les conditions. Si la loi est trop précise, elle n’est pas applicable.

 

Et qu’en disent les protestants ?

 

L’Église protestante unie de France a voté un texte en 2013 : A propos de la fin de la vie humaine. Ce texte est un avis très protestant qui dit : on n’a pas la réponse, c’est à chacun de prendre ses responsabilités. Pas du point de vue juridique, mais comme Dietrich Bonhoeffer qui, ayant participé à un attentat contre Hitler, a dit qu’il envisageait d’accomplir quelque chose qui était contre la loi, mais qu’il prenait cette décision en toute conscience, convaincu qu’il était responsable devant Dieu.

 

Il semblerait que l’on s’achemine vers une loi en faveur d’un geste actif mais quand ?

 

Pour aller plus loin : La fin de vie et la bioéthique du bien mourir, un dossier à télécharger.

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Avis du CCNE – septembre 2022

 

La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Léonetti, a introduit dans le droit français la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Cette disposition avait pour objectif de répondre à la situation des personnes en toute fin de vie, dont les souffrances n’étaient pas ou plus soulageables.

Toutefois, elle ne semble pas répondre à toutes les situations, ni à toutes les demandes, comme l’a mentionné le CCNE en 2022, dans son avis qui souligne la nécessaire conciliation de deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité envers les personnes les plus vulnérables et le respect de l’autonomie de la personne. Le CCNE souligne l’importance de renforcer les mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs ainsi que des repères éthiques en cas d’évolution de la législation.

 

 

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