Le témoignage peut trahir

© Luis Molinero Martínez

Grain de sable

Marc 1.40-45

En cinq versets, le ministère de Jésus évolue. Il aura suffi qu’un lépreux proclame sa guérison pour modifier le plan de route établi. L’évangile de Marc analyse ici le témoignage humain, ses limites et ses conséquences.

Proclamer est un art dangereux où le micro ne suffit pas. Dans le récit de l’Évangile, il semble y avoir deux chemins pour annoncer une parole de libération. La voie institutionnelle, qui doit faire preuve, et la voie de la proclamation, qui fait choc. Jésus a choisi la première, le lépreux la seconde, bafouant l’ordre reçu. Pourtant, la trahison du lépreux est efficace et interroge les pratiques d’Église.

La révélation sans foi

Où est la foi ? Lorsque le lépreux s’adresse à Jésus, seule son insistance est évoquée. Sa demande relève du registre profane de la puissance : « si tu veux, tu peux ». De même, l’ordre donné par Jésus de faire constater la purification par les prêtres concerne un aspect technique. Jusqu’à l’agenouillement du lépreux, d’ailleurs discuté par les traducteurs ; ce geste n’est pas réservé au domaine religieux mais concerne la déférence politique ou hiérarchique. Curieusement, rien dans ce récit ne fait donc directement appel à la foi. Le témoignage souhaité par Jésus passe par la proclamation dans un cadre codifié de longue date, pour convaincre par la preuve. Pas d’estrade ni de révolution, tout indique ici que le plan de route initial de Jésus ait été une évolution de la religion, plus qu’une révolution spirituelle.

L’ivresse de la guérison

Quand soudain sa maladie le quitte, on comprend la joie du lépreux condamné à la mort, son envie de partager ce qui lui est arrivé. Pourtant, Jésus l’interdit de parole et le chasse dans les mêmes termes que les démons quelques versets plus tôt. Or la maladie n’est habituellement pas considérée par Jésus comme démoniaque, d’autant qu’elle a déjà quitté le malade. Il y a donc un problème avec ce lépreux, comme si sa proclamation sans l’aval du prêtre était une sorte d’ivresse due à la libération et non pas l’expression d’une joie légitime. Parce qu’il est le fruit d’une volonté personnelle, qu’il se concentre uniquement sur l’événement et transgresse la loi, ce témoignage est invalide et inapproprié. L’ivresse du lépreux guéri force Jésus à changer de route, ce qui interroge la pertinence et les conditions d’une proclamation de la Parole.

La voie de la proclamation

Pourtant, ça marche. Ces gesticulations contraires aux bons usages ont un effet, même pour de mauvaises raisons. Il n’est effectivement pas mentionné qui les foules viennent voir : le Jésus reconnu comme messie par la foi, ou un guérisseur surpuissant. Un mal pour un bien, les pratiques illicites du lépreux vociférateur seront l’occasion pour Jésus d’annoncer la Parole à des foules rassemblées. L’épisode suivant verra cependant la guérison d’un paralysé dans des conditions plus conformes, cette fois-ci au nom de la foi de ses amis.

Des critères possibles

Cette histoire improbable incite les témoins de tous temps au respect de quelques critères. Elle redit d’abord que l’Esprit souffle où il veut, y compris dans la proclamation inappropriée de zélateurs ; que Dieu puisse atteindre le cœur de l’humain au-delà de toute parole invite à l’humilité. Le récit redit ensuite la force de l’histoire, de sa tradition, des habitudes qui ne sont pas de vaines expériences mais le reflet d’un discernement dans les siècles. Il invite aussi à une validation du témoignage par la communauté, afin d’éviter les écarts incontrôlables. Il valide enfin la diversité des proclamations, qu’elles s’ancrent dans un terreau connu ou plus inattendu.

David Steinwell

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