Les Lamentations, un abécédaire pour les jours du malheur

© Annie Spratt

Le titre hébreu des Lamentations résume assez bien notre impression générale en ce temps de pandémie : Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’allons-nous faire ? Comment allons-nous traverser ce temps. Et cet abécédaire de la souffrance (le poème est construit sous forme alphabétique) reprend des champs lexicaux que nous connaissons bien ces jours-ci…

À commencer par celui de la guerre. Si l’on se place sur le plan de la prouesse militaire, le discours martial de notre Président était sans doute critiquable. Mais – et les Lamentations, nous le rappellent bien – la guerre, ce n’est pas seulement des champs de bataille et l’exploit des héros, c’est aussi les populations civiles frappées et impuissantes. Et peut-être l’épidémie et le confinement nous rapprochent-ils un peu de ces populations ? Peut-être pourrons-nous un peu mieux comprendre leur détresse ?
« Les anciens de Sion la belle sont assis à terre, ils restent muets ; ils ont jeté de la poussière sur leur tête, ils ont mis un sac pour pagne ; les jeunes filles de Jérusalem baissent la tête vers la terre. » (Lm 2.10)
Un deuxième champ lexical marquant, c’est celui de l’humiliation. Et on l’entend aujourd’hui beaucoup « comment est-ce possible dans notre pays ? ». Sans entrer dans la question de savoir si c’est effectivement scandaleux ou non, des réflexions de ce type me font me demander si nous ne nous sentions pas un peu invulnérables, immunisés contre des catastrophes, des situations dont nous savons bien qu’elles frappent bien d’autres peuples ?
« Elle, si grande parmi les nations, princesse sur les provinces, elle est astreinte à la corvée ! » (Lm 1.1)
Les Lamentations nous parlent aussi du désert, de l’abandon. Et là encore ce sont des images qui nous rejoignent. Pendant la quarantaine, même le plus ours, le plus solitaire parmi nous a pu faire l’expérience que nous avons besoin de contacts humains, y compris de rencontres avec des personnes extérieures à notre cercle. Même le plus geek d’entre nous a pu réaliser que les écrans ne suffisent pas à la rencontre vraie.
« On m’a entendue gémir, mais personne ne me console. » (Lm 1.21)
En ce temps de détresse, vers qui tendons-nous la main ? Quelles alliances, quelles compromissions sommes-nous prêts à faire ? Quels discours sommes-nous prêts à croire ? Quelles solutions sommes-nous prêts à envisager ? À quels calculs cyniques nous livrerons-nous ?
« Nous avons tendu la main vers l’Égypte, vers l’Assyrie pour nous rassasier de pain. » (Lm 5.7)
Enfin, les Lamentations nous parlent de la colère de Dieu et de son châtiment… Soyons clairs, je ne crois pas que la Covid-19 soit une malédiction envoyée par Dieu pour nous punir de nos mauvaises actions, de notre orgueil ou autre. Mais si nous ne sommes pas obligés de reprendre à notre compte les conceptions théologiques de l’auteur, il serait dommage de passer à côté d’une démarche qui, face à l’épreuve, nous pousse à questionner notre mode de vie. Sans parler de punition, nous ne pouvons plus nous voiler la face, nous en tenir à de vains discours, l’épidémie que tous subissent est la conséquence de nos choix de société, de nos comportements.
« Tes prophètes ont eu pour toi des visions illusoires et insipides ; ils n’ont pas mis à nu ta faute afin de rétablir ta situation ; leurs visions ont abouti pour toi à des sentences illusoires et décevantes. » (Lm 2.14)
Et si la Covid-19 n’est pas l’œuvre de Dieu, avec son aide, nous pouvons toutefois rendre ce temps fécond pour demain, repenser notre société, notre vie personnelle, mais aussi notre vie d’Église.
« Ramène-nous à toi, Seigneur, et nous reviendrons. » (Lm 5.21).

Éric George

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