Le film qui m’a plu
Par Roseline Cayla
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Fabriquer des petites maisons en carton ! De pâtes ou de cacao, tous ces emballages se transformaient aisément, quelques coups de ciseaux créaient portes et fenêtres. Il ne manquait plus que des personnages de pâte à modeler pour y habiter. Amusement de mon enfance !
J’imagine qu’Alain Ughetto a pu s’amuser ainsi dans son enfance. Je l’ai pensé en voyant Interdit aux chiens et aux Italiens, son film d’animation à la mémoire de ses grands-parents piémontais, qui ont émigré au début du XXe siècle. Le réalisateur interroge sa grand-mère Cesira qu’il fait revivre dans une marionnette par la voix d’Ariane Ascaride. Alain Ughetto construit ses décors, on voit sa main placer une petite maison qu’il installe sur un carré figurant un terrain. Plus tard, une maison plus grande coiffera celle-ci. Son film est un travail manuel, Alain Ughetto a hérité ce goût de son grand-père Luigi ! Il recherche des éléments naturels lui rappelant le pays : brocolis, châtaignes, charbon de bois etc. Nous voyons, au fil du film, ses mains de travailleur, dont la grand-mère lui dit qu’elles sont celles du grand-père. Ainsi il prend un outil dont il va équiper comme par magie le petit personnage qui va s’en servir aussitôt.
Et Cesira raconte l’histoire de la famille Ughetto : paysans là où ils sont nés, à Ughettera, ils vont, pour survivre, s’engager sur les grands chantiers de construction. Les hommes partent et aussi la famille. Au fur et à mesure des réponses de Cesira à son petit-fils, on voit les scènes et c’est émouvant. Luigi et ses frères, assis autour de la longue table devant leurs écuelles vides, yeux grand ouverts dans leurs petites figures maigres, attendent la distribution de polenta ! Parfois la fantaisie s’invite par l’art de l’animation ; le père est en train de trancher un minuscule saucisson (?), chaque tranche saute d’elle-même dans l’assiette de celui à qui elle est destinée, sauf celle du plus petit qui se livre à un invraisemblable exercice de dextérité pour récupérer sa part ! Luigi, l’amoureux de Cesira, du haut de la montagne où il travaille, envoie d’un coup de pioche un edelweiss se poser dans les cheveux de la belle, dans la vallée. L’embauche des maçons : empiler des morceaux de sucre ! Le recruteur bouscule la table, si le mur de sucre ne tient pas : « Tu seras manœuvre ! ». Au suivant, qui lui, sait comment placer les pierres, le mur tient : « Tu seras chef de chantier ! ». En Suisse, la longue file des ouvriers gravit les sentiers rocheux. Il y a parfois des accidents, des morts. Il y en aura parmi les frères et sœurs de Luigi, puis parmi ses enfants. Et puis il y a les guerres, les épidémies. On voit la famille sous la neige, cheminant vers la France. Il y a l’installation dans le nouveau pays, avec le racisme ordinaire, mais bientôt une vie meilleure. Des enfants naissent. Image insolite, le tour de France, avec Yvette Horner jouant de l’accordéon sur le toit de la voiture publicitaire de la caravane, souvenir d’enfance d’Alain Ughetto né en 1950 ?
Une histoire vraie que poétise l’art de cet extraordinaire film d’animation !
