Le temps d’aimer

Un film de Katell Quillévéré, avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Paul Beaurepaire, 2h05, drame, romance.

Le film qui m’a plu

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Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet

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Nous sommes en 1947. Sur une plage quasi déserte, un homme (Vincent Lacoste) sort de l’eau un petit garçon qui s’aventurait un peu trop loin et le ramène à Madeleine (Anaïs Demoustier), la maman confuse que l’enfant ait échappé à sa surveillance… Un autre jour, la scène se reproduira, et cette fois, c’est une femme qui ramènera l’enfant à la maman, reprochant avec hauteur à cette dernière son insouciance.

 

L’enfant, Daniel, cherche par son comportement à attirer l’attention sur lui. « Je voudrais que tu m’aimes » dira-t-il à sa mère. L’homme, François, courtois, simple, est le fils d’un industriel du nord, mais il n’est pas intéressé par la gestion de l’entreprise paternelle, qu’il laissera à son frère aîné. Il est étudiant en archéologie. D’emblée, Madeleine, serveuse dans un bar breton, est attirée par cet homme sensible. Entrons plus tard dans le bar : nous voyons quatre employées en costume traditionnel, dont Madeleine. Celle-ci retrouve François parmi les clients. À sa surprise, il lui offre une coupe de champagne qu’elle n’accepte que furtivement, car le règlement l’interdit pendant le travail. Nous voilà embarqués dans une romance, comme semble le suggérer le titre du film !

 

Un sauveur providentiel

 

Mais ce couple improbable dont on suivra l’histoire jusque dans les années 60, est, comme on va le voir, celui de deux parias dans la société de l’époque. En effet Madeleine rapidement révèle à François que le petit Daniel est le fils d’un officier allemand avec lequel elle a eu une brève liaison, et qui a été ensuite envoyé sur le front russe. Elle ne sait ce que cet homme est devenu. Se retrouvant enceinte, elle a été chassée de chez elle et a subi le sort évoqué au début du film par des images d’archives : malheureuses femmes dénudées, tondues, insultées par une foule haineuse, parce qu’elles avaient eu des histoires d’amour avec des soldats allemands.

 

Le gentil François est le sauveur providentiel. Alors qu’ils se connaissent depuis quinze jours à peine, il épouse Madeleine, il adopte Daniel. Sommes-nous dans un conte : ils furent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants ? Non ! François a un secret, qu’il ne peut avouer. On comprend vite de quoi il peut s’agir quand on entend un certain Nicolas taper comme un forcené à la porte du couple, en criant le nom de François… François mal à l’aise blêmit et n’ouvre pas la porte. Il prétend qu’il s’agit d’un étudiant schizophrène. De ce jour le jeune couple va de difficulté en difficulté. Madeleine pense qu’elle est une couverture pour François. À quoi celui-ci répond qu’il est également une couverture pour elle et son fils. Pourtant tous deux tentent de former une heureuse petite famille. Ils tiennent l’un à l’autre, ils veulent y croire. Dans l’épreuve ils seront solidaires. C’est peut-être le côté le plus intéressant de ce film : qu’est-ce qui fait qu’un couple dure ?

 

La complexité des sentiments

 

Ils vont changer de lieu, espérant que leur passé les oubliera. Madeleine devient gérante d’un bar fréquenté par des soldats américains bruyants et souvent éméchés, dans un quartier qui semble plutôt mal famé. Je regrette un peu que la réalisatrice ait longuement montré cette ambiance. Bien sûr, il fallait aussi faire entendre la musique d’Outre-Atlantique, amenant avec elle une vie débauchée dirait-on (à moins que ce ne soit, en fait, toute armée, quand elle est hors de chez elle…). Les deux conjoints semblent avoir trouvé un arrangement avec un troisième personnage, un soldat afro-américain, qui cependant s’enfuit lorsqu’il comprend le rôle qu’il joue. « Je ne suis pas votre objet ! » dit-il.

 

Ce qui est montré ne tomberait pas sous le coup de la censure, mais cette scène de sexe aurait-elle pu s’interrompre plus tôt ? Elle sert pourtant à montrer la complexité des sentiments dans le couple. Elle montre peut-être aussi que les personnages tentent d’être eux-mêmes dans l’intimité, étant par ailleurs obligés de feindre, pour cacher ce que la société n’accepte pas.

 

François travaille à sa thèse, et tente de protéger et d’éduquer Daniel un peu laissé à lui-même. L’adolescent est renvoyé de son collège pour brutalité envers un camarade. Il est torturé par l’idée de savoir qui est son père biologique, car on lui a seulement dit que celui-ci était mort à la guerre.

 

Mais je ne vous en dirai pas plus sur cette histoire à rebondissements. On suit avec anxiété le devenir de chaque personnage dont on partage les efforts pour vivre la tête haute, dans une société hypocrite prétendument vertueuse. À travers une histoire du passé, le film parle de questions d’aujourd’hui et de toujours : qu’est-ce qu’aimer quelqu’un en vérité ? Quel rôle la sexualité joue-t-elle dans le couple ? Y a-t-il un seul modèle de famille ? Un beau film avec, dans des rôles difficiles, des acteurs excellents que j’ai trouvés très émouvants.

 

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