Le quatrième mur

Un film réalisé par David Oelhoffen avec Laurent Lafitte, Simon Abkarian, Manal Issa - 2024 - 1h 56

Le film qui m’a plu

Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet

Le quatrième mur, film de David Oelhoffen va-t-il donc nous parler de théâtre ? En effet le 4ème mur, c’est le mur invisible qui sépare les spectateurs de la scène, celle-ci  étant délimitée par le fond du plateau et les deux côtés. Le public voit  une action qui est censée se dérouler comme s’il n’était pas là. Rien ne lui échappe, mais il ne peut pas intervenir. C’est aussi notre position au cinéma, mais ici nous voyons le théâtre des opérations en nous mettant à la place de Georges (Laurent Laffite) le metteur en scène de théâtre, qui veut monter Antigone de Jean Anouilh. Les acteurs jouant la pièce vont être acteurs dans le drame réel, traversant ce quatrième mur virtuel, défoncé, si l’on peut dire, tout comme les murs  de Beyrouth dans cette guerre civile qui a commencé en 1975. Nous sommes en 1982.

 

Georges a promis quelques années auparavant à un ami mourant, de mettre en scène à Beyrouth, cette pièce qui montre la désobéissance civile d’Antigone après la mort de ses frères Etéocle et Polynice en conflit pour le pouvoir. Anouilh a écrit cette pièce pendant l’occupation allemande et on y a vu un moyen de réveiller le courage de la Résistance à l’ennemi. Georges, comme son ami sans doute, croit à la fraternité au-delà des religions et des factions, il croit au rôle pacificateur du theâtre. Alors il doit, comme son ami l’aurait voulu, engager des comédiens issus des diverses communautés (druzes, alawites, chiites, arabes syriens, chrétiens arméniens, chrétiens maronites, palestiniens…), communautés continuellement en lutte les unes contre les autres, dans un pays où la laïcité est inconnue et où l ‘élite maronite est au pouvoir.  C’est une Palestinienne, Imane, (Manal Issa, magnifique) qui doit interpréter le rôle d’Antigone.

Mais revenons au début du film. Georges est à la frontière avec la Syrie, accompagné d’ un ami libanais qui lui explique ce qui l’attend, car Georges ne comprend rien à cette guerre, comme il le dit à cet ami qui lui demande pour quel parti  il tient . Ils sortent juste à temps de leur voiture qui explose sous un obus tiré d’un tank syrien .

 

Le film  est adapté de la 2ème partie du roman Le quatrième mur de Sorj Chalandon, paru en 2013. L’auteur a été longtemps grand reporter au quotidien Libération, et il s’inspire de son expérience du Liban au début des années 80. « J’ai des carnets à spirale, dit-il parlant de son travail de romancier dans une interview. En reportage, je note sur la page de droite mes observations objectives. Je réserve la gauche à ce que je ressens : un tremblement. J’ai peur, j’ai froid, je veux rentrer à la maison…»

 

Georges va donc se trouver pris malgré lui dans la guerre et il va devoir ruser pour obtenir la participation des uns et des autres, participation qui sera remise en question à divers moments, parfois tragiques, parfois touchants ou qui font sourire dans leur absurdité. Il faut ménager les susceptibilités dans la distribution des rôles . Mais non, Créon, l’oncle d’Antigone, ne sera pas tourné en ridicule, voilà rassuré l’acteur qui l’interprète…Ceux qui jouent les gardes pensent qu’ils devraient avoir un rôle plus important, leur communauté étant numériquement la plus importante ! A un moment les druzes veulent se retirer, le chef de leur communauté trouve que la pièce n’est pas correcte car l’un des personnages, la mère d’Hémon, va se suicider. Le suicide est un péché … Georges va alors demander une entrevue au chef druze à qui il va expliquer qu’à Paris, un ami iranien lui a dit que la pièce n’avait aucun caractère offensant pour la religion ou pour qui que ce soit…Bref il promet qu’Eurydice ne se suicidera pas…On voit Georges dans les familles expliquant la pièce, afin de rassurer les uns et les autres. Son ami traduit… Georges  fait répéter son rôle à chacun en lui donnant la réplique. Petit moment de gêne, lorsque, à la place d’Antigone, il reçoit la déclaration d’Hémon qui est amoureux de celle-ci. L’ami traducteur se dépèche d’expliquer que ce sera bien une femme qui jouera le rôle d’Antigone ! Quand la troupe est enfin réunie, on a le cœur serré de  voir ces personnes pleines de bonne volonté, au mépris de la mort qui rôde  répéter dans le théâtre en ruines. Une façon d’oublier quelques instants la guerre.

Mais la situation va les dépasser. Nous sommes plongés au cœur de l’atrocité . Un seul assassinat, vision insoutenable, suffit pour comprendre ce qu’est une guerre civile.  Georges ne peut rien faire pour empêcher cet acte et il ne veut pas le voir, mais on lui tend un revolver … Tout au long du film, Laurent Lafitte est extraordinaire de vérité pour rendre par les attitudes de son corps, les expressions de son visage ce que le personnage ressent.

Nous le verrons déambuler hagard, dans un silence de mort au milieu des décombres. On entend au loin le crépitement de tirs et les cris d’une femme. Des civils ont été massacrés en masse. On voit leurs corps entassés les uns sur les autres. Et Georges pleure (on le devine, car on le voit de dos), s’effondrant à genoux quand il découvre le corps d’Imane,  qu’il aimait. On pense aux massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila : le 16 et le 18 septembre 1982, les milices chrétiennes des Phalangistes libanais sont entrées dans les camps de réfugiés palestiniens à Beyrouth, pour s’attaquer à la population civile, sous les yeux de l’armée israélienne qui occupait alors la ville et a favorisé le massacre, comme l’enquête l’a montré par la suite.

Un film poignant, une réalité qui peut être désespérante. Pourtant  me dit (peut-être maladroitement ou pour se rassurer), la personne atteinte d’un handicap psychique qui m’accompagnait : « Le film est optimiste car il montre des personnes qui croient à la bonté et c’est important qu’il y en ait toujours. » Je ne saurais mieux dire.

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