La fille de Jephté, anonyme et sacrifiée*

Le livre des Juges dans l'Ancien Testament est un des plus perturbants de la Bible et ne prête que difficilement à la prédication. Il relate cette période où Israël s'est installé dans cette Terre promise mais malheureusement peuplée de Cananéens, qu'il lui faut combattre. À quoi s'ajoute une organisation en douze tribus, propice à des luttes intestines aussi sanglantes qu'indécises.

Femmes de la Bible - 2

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.Juges 11

 

Par Jean Loignon, Église protestante unie de Loire Atlantique

 

Émergent de cette violence généralisée les figures des « juges », chefs de clan inspirés et soutenus par Dieu, ce qui ne les empêche pas de renier tôt ou tard leur fidélité à la loi divine. On se rappelle des noms de Gédéon et surtout de Samson, le colosse manipulé par Dalila qui périra tragiquement à… Gaza.

 

L’irréparable

 

La fille de Jephté (1879) par Alexandre Cabanel (1923-1889) © Domaine public

L’histoire de Jephté (Juges 11) est celle d’un de ces juges temporaires. L’homme est issu de la tribu de Manassé, fils de Galaad et d’une prostituée. Se situant à l’est du Jourdain, à la périphérie de la Terre promise, il reste au contact permanent d’un paganisme aux dieux multiples et avides de sacrifices.

 

Appelé par Dieu à la fonction de juge, il mène une campagne féroce contre des ennemis du moment, les fils d’Ammon. Mais, méfiant autant que prudent, il a doublé auparavant la confiance divine par un vœu pour s’assurer de la victoire : il sacrifiera la première personne qui l’accueillera à son retour. Or, c’est sa fille unique qui va toute joyeuse à sa rencontre. Jephté est effondré mais prisonnier de sa promesse.

 

Jephté va donc commettre l’irréparable et sa fille accepte son sort. Par soumission ? Pour montrer à son père ce qu’il en coûte quand on doute du Dieu unique ?

Mais elle obtient de lui une ultime concession : un répit de deux mois qu’elle passera avec ses compagnes, isolées dans la montagne, loin du patriarcat qui va la tuer.

 

 

L’offrande du premier-né

 

La tuer ? Ce n’est pas si simple : l’histoire n’est pas sans rappeler le mythe d’Agamemnon, immolant sa fille Iphigénie pour obtenir des vents favorables dans son expédition contre la ville de Troie.

 

L’offrande du premier-né était fréquente dans le Proche Orient et on se rappelle la tentation d’Abraham de sacrifier Isaac. La plupart des traductions bibliques parlent donc d’un holocauste, un terme grec signifiant la mort par le feu. Mais le terme hébreu de sacrifice suggère aussi une « élévation », une consécration qui n’implique pas forcément le meurtre. Un détail accroche : durant sa retraite, la fille de Jephté « pleure sa virginité » (Juges 11.38), ce qui surprend puisqu’elle ne connaîtra pas le mariage et ses conventions.

 

Ne serait-ce pas parce que Jephté destine en fait sa fille à la prostitution sacrée, peut-être en référence à sa propre mère ? Le texte ménage l’ambiguïté d’un dénouement moins sanglant mais néanmoins typique d’une violence exercée contre les femmes depuis les millénaires. Et la seule lueur d’espoir de cette tragique histoire sera l’institution d’un rite féminin qui fera mémoire de la fille de Jephté, celle de filles fortes et solidaires.

 

* D’après le parcours proposé par Théovie Des femmes de la Bible

 

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