L’Ascension, l’apothéose d’une journée

Que célèbre-t-on au juste, en ce jour de l'Ascension, dans les Églises chrétiennes ? La réponse n'est pas évidente, particulièrement en ce qui concerne notre Église protestante unie. Hormis que c'est, de façon traditionnelle, le moment de la tenue annuelle du Synode national, force est de constater que la grande majorité des Églises locales font, ce jour-là, l'impasse de tout rassemblement quel qu'il soit. La plupart des temples demeurent fermés.

© Élisabeth Renaud

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Luc 24, 36-53

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Par le pasteur Étienne Vion

 

N’allez pas davantage questionner du côté de la société civile tellement sécularisée qu’elle serait bien incapable de voir en ce jour férié autre chose qu’une bonne occasion d’un long week-end printanier en prélude aux prochaines vacances estivales. Quel sens peut avoir l’Ascension pour nos contemporains lorsque l’on sait que nombreux sont désormais ceux qui prônent même que Noël, sous prétexte de laïcité, incomprise ou exacerbée, soit déclarée fête de la lumière ou de l’enfance, et Pâques, fête des œufs ou, mieux, de la libération… Je ne serai, dès lors, guère surpris que pour eux, l’Ascension soit la journée internationale des montagnards et Pentecôte, celle des marins (en rapport aux courants d’air) !

 

Une journée exceptionnelle

 

Est-ce vraiment là ce qu’en dit Luc, dans son Évangile ? Car, en effet, le récit de l’Ascension ne se trouve pas seulement en ouverture du livre des Actes des Apôtres. Cette première version de l’Ascension est sensiblement différente de celle qui nous est plus familière, sous la plume du même auteur, au premier chapitre des Actes. Dans son Évangile, l’Ascension du Christ ressuscité se présente telle l’apothéose d’une journée exceptionnelle, extraordinaire et pour ainsi dire sans fin. Tout se passe lors de la longue journée de Pâques, assurément le « jour le plus long », aux multiples rebondissements. Découverte, à l’aube, du tombeau vide du Crucifié par les femmes ; compagnonnage du Ressuscité sur la route d’Emmaüs ; puis son apparition aux onze disciples réunis avec des amis à Jérusalem dans une pièce verrouillée, pour un ultime envoi : être ses témoins.

Ainsi donc, première conclusion de Luc, vous l’avez entendu : « Levant les mains, il les bénit. Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Eux, après s’être prosternés devant lui, retournèrent à Jérusalem pleins de joie et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu. » Luc dit ainsi la victoire incontestable du Christ crucifié sans éluder pour autant l’interrogation qui taraude le christianisme de son temps : Pourquoi tarde-t-il tant à instaurer sa pleine royauté sur le monde ? Car Luc écrit quelque cinquante ans après l’événement de la Croix au Golgotha. Ce faisant, il s’efforce d’amener la troisième génération chrétienne à assumer pleinement, théologiquement, la paradoxale absence de Celui qui est pourtant éternellement présent. Il s’agit dès lors, pour les chrétiens, d’intégrer une réalité théologique jusque-là repoussée, à savoir que l’hypothétique imminence d’un « retour prochain du Christ » n’est plus tenable. Il faut s’inscrire résolument dans la durée d’un temps nouveau, autre. À tout jamais, le Dieu des chrétiens, en Christ, est là incognito. Rien ne l’impose. Aucune évidence manifeste. Un Dieu décidément discret qui ne sature pas l’espace religieux et encore moins l’aire médiatique.

 

Une seule et même réalité

 

À la question du matin de Pâques : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » succède maintenant cette interrogation similaire : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Il ne s’agit plus pour les fidèles de spéculer sur les mystères divins. Ils ont mieux et plus urgent à vivre : ils sont appelés à garder les pieds sur terre, se retrousser les manches, se serrer les coudes et bien voir autour d’eux les plus petits de ce monde pour reconnaître et servir en eux Celui dont ils reçoivent tout, le Christ qui donne la vie, qui donne sa vie. C’est la théologie de l’enfouissement au cœur des réalités rudes de tout un chacun. Gardons-nous des estrades ou des tribunes. Nous sommes attendus ailleurs. Là où Christ lui-même fut « élevé ». Élevé, ainsi qu’être réveillé, ce sont les termes théologiques, techniques, pour dire la Résurrection dans le Nouveau Testament. Or, « élevé » au-dessus de la terre, le Christ Jésus ne l’a jamais été davantage que sur la Croix au Golgotha. C’est là son trône de gloire. Quand il affronte et renverse la souffrance et la mort. Comprenons-nous bien : La Croix, Pâques, l’Ascension et Pentecôte même, ce sont là une seule et même réalité. La mort est désormais vaincue pour que la vie de tous soit toujours possible. Oui, à bien lire l’Évangile, c’est aussi sur la Croix que Jésus « remet son Esprit », en un ultime souffle. Sur la Croix encore que, les mains clouées étendues, il nous bénit tous pour les siècles des siècles. Son exaltation paradoxale est en cet abaissement, ce don radical de sa vie. Christ est ressuscité à l’instant absolu de sa kénose, comme disent les théologiens. Ou, pour le dire plus simplement, en se « vidant » de toute divinité, en renonçant à toute religiosité, Christ est tout à la fois le Crucifié-Ressuscité. Être disciples de ce Jésus-là, dans un temps toujours pétri de peurs et plus encore flétri d’égoïsme, c’est nous tenir devant Dieu dans un monde sans Dieu et pourtant terriblement religieux d’idoles en tous genres. Se  tenir devant Dieu c’est être auprès de celles et ceux qui sont à la peine en gardant pour eux la petite flamme fragile de la joie imprenable.

 


Source : Coordination nationale évangélisation – Formation, Église protestante unie de France. Notes bibliques et prédications.

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