Pâque(s) – Le chant du Cabri

GRAIN DE SABLE. Depuis des siècles, la célébration familiale de la Pâque juive s’achève par le Chant du cabri. Il décrit l’histoire d’un cabri acheté pour un montant de deux zouz par un père avant d’être mangé par un chat qui sera mordu par un chien, lui-même frappé par une trique que le feu va dévorer avant d’être éteint par un flot d’eau, que du bétail va boire avant d’être rituellement abattu par le boucher, que l’ange de la mort va égorger avant que Dieu ne le fasse mourir.
Par Michel Cordier
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Le chant du cabri, jeu de l’oie de Benjamin Zvi Barlévi © Wikimédia

Son succès vient de toutes les interprétations auxquelles il a donné lieu, la plus convaincante, dans la lignée d’interprétations courantes de Daniel ou de l’Apocalypse, assimilant chaque point de sa trame à un élément de l’histoire du peuple juif. C’est ainsi que la fête s’achève sur l’affirmation que Dieu se joue des rebondissements successifs de l’histoire pour reprendre finalement son peuple à ses côtés, la mort ayant été elle-même vaincue. C’est un écho puissant au cri d’espérance précédant le début du décompte menant de la Pâque à la Pentecôte (juives) : « L’année prochaine à Jérusalem !»

 

Comprendre ou s’exclure

 

De ce chant, on connaît la version dépouillée de ses références juives d’Angelo et Luisa Branduardi, le À la foire de l’Est de la fin des années 1970. Il en est une plus surprenante, celle de Ḥava Alberstein, présente en premier plan sonore de l’ouverture du film Free zone d’Amos Gitaï. Elle est fidèle à l’original, jusqu’à ce que l’ange de la mort soit le dernier de la liste… En lieu et place de l’intervention finale de Dieu, c’est une question qui lui succède : qu’y a t-il de différent ?

Dans le grand récit du repas de la Pâque, cette question déclenche une réflexion sur son sens historique et présent. Quatre fils illustrent la génération à venir, certains ne peuvent encore ou ne pourront jamais saisir les enjeux de cette fête, les autres ont à choisir entre comprendre et obéir ou s’exclure de fait.

La chanteuse, elle, constate l’absence de retour du printemps et de la fête, la violence ayant pris le dessus, l’agneau étant devenu loup à son tour. « Qu’est-ce qui a changé ? Moi. Je ne sais plus qui je suis. »

 

Faire mémoire

 

Juifs ou chrétiens, la fête de Pâque(s) nous invite à faire mémoire, à nous confronter au Dieu libérateur, de l’esclavage en terre étrangère pour les uns, de tout ce qui pouvait nous séparer de lui pour les autres. C’est une invitation à nous garder de l’oubli ou du déni pour nous retrouver. Tous les jours de l’hiver doivent être vécus avant le printemps, toutes les fautes ou erreurs reconnues et regrettées avant le pardon.

Elle est précieuse cette liberté qui nous est à nouveau accordée, qui nous rend tant notre dignité d’êtres humains que notre capacité à agir en enfants de Dieu. Elle est fragile aussi, si nous ne choisissons pas de la laisser s’épanouir en nous tenant à l’écart de ce qui nous en avait privé. La Loi ne tarde guère à être donnée après la sortie d’Égypte, l’Esprit à être répandu sur les apôtres après l’Ascension, les deux sens de Pentecôte…

Quoi qu’il puisse arriver, la leçon du Chant du cabri est bien la même que celle de Job (19.23) tombé au plus bas : « Mais moi je sais que “celui qui a le droit/devoir de me racheter” est vivant, et qu’en dernier, sur la poussière, il interviendra. »


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