Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
5e volet
Par Éric Deheunynck
Jérémie Foa a compulsé deux types de documents, les registres d’écrou et les actes notariés qu’il a croisés avec d’autres sources, en particulier le martyrologe1 de Simon Goulart. C’est un travail de bénédictin, car il faut non seulement compulser page après page, année après année, mais il faut aussi reconnaître des individus dont la graphie des noms n’est pas fixe.
Une mine d’informations
Les registres d’écrou listent de manière chronologique les personnes incarcérées, détaillent leur identité, donnent le motif de leur arrestation et la durée de la peine ainsi que le nom de celui qui les arrête. Or, lors de la troisième guerre de Religion (1568-1570) bon nombre de protestants de Paris sont interpellés et conduits en prison… bourreaux et victimes de la Saint-Barthélemy se rencontrent alors pour la première fois. Les tueurs ont déjà arrêté leurs victimes.
Les actes notariés2 sont également une mine d’informations. L’attestation du décès de Loys Chesnau, principal du collège de Tours, permet à son collègue et rival d’occuper son poste. Mais les témoins nommés semblent être plus acteurs que spectateurs. L’inventaire après décès de Thomas Croizier permet de mesurer l’enrichissement d’un massacreur qui finit sa vie dans la maison d’une de ses victimes. Un certificat de catholicité ou un formulaire d’abjuration permettent de suivre le destin des survivants. Certains osent même porter plainte lorsque les circonstances le permettent.
Le profil des massacreurs
Toutes les micro-histoires exhumées par Jérémie Foa permettent de dresser un portrait des massacreurs. Désormais ils ont un nom, une adresse, une profession… Trois noms se singularisent, Thomas Croizier, Nicolas Pezou et Claude Chenet. Leurs professions, tireur d’or, mercier et brodeur. Ils sont tous issus de la bourgeoisie parisienne et se connaissent très bien. Beaux-frères des uns, parrains des enfants des autres, ils sont tous catholiques zélés, porteurs de la châsse de sainte Geneviève. Ils sont également actifs dans la milice bourgeoise. Les inventaires après décès signalent à leur domicile un véritable arsenal de guerre à côté de tableaux religieux. Selon le registre d’écrou de la Conciergerie, à eux trois ils sont responsables de la moitié des arrestations de protestants entre 1568 et 1570. Ils connaissent déjà leurs victimes.
Au cœur du massacre
La Saint-Barthélemy est un massacre de proximité. Une femme dénoncée par son mari est ainsi massacrée en pleine rue tandis qu’un couple est assassiné à domicile par ses propres neveux. Mais les plus redoutables sont les capitaines de la milice bourgeoise. Dans un premier temps, l’effet de surprise joue pleinement, les massacreurs sonnent à la porte. Les protestants ont l’habitude d’être arrêtés, conduits en prison. Connaître ceux qui vous ont déjà arrêté n’éveille pas la méfiance.
Le trio infernal – Croizier, Chenet, Pezou – peut agir en toute liberté. Nicolas Pezou arrête à son domicile le magistrat Pierre de la Place, massacré dans la rue par ses sbires. Thomas Croizier se vante d’avoir exécuté 400 huguenots. Il habite la Vallée de Misère dans une maison en bord de Seine. Une fois arrêtées, ses victimes sont conduites chez lui, assassinées sur place puis jetées dans le fleuve. Claude Chenet tue à son domicile le richissime orfèvre Philippe Le Doux tandis que sa femme bien qu’enceinte est défenestrée…
Désormais le massacre n’est plus le fait d’une foule anonyme. Les tueurs comme les victimes nous sont connus. La Saint-Barthélemy ne surgit plus du néant mais s’inscrit dans les dix années de violences qui la précèdent. Paradoxalement il s’agit pourtant du dernier grand massacre de protestants. Le retour aux sources, comme la découverte des débats d’historiens arrivent à leur terme. Il nous faut maintenant faire entrer les accusés. Qui doit être innocenté ou inculpé ? Qui est responsable de ce massacre ?
Simon Goulart (1543 – 1628) Picard d’origine – né à Senlis comme l’indique la gravure – Simon Goulart fait carrière à Genève comme pasteur puis comme modérateur de la Compagnie des pasteurs. Il est le troisième à occuper ce poste après Jean Calvin et Théodore de Bèze. Son martyrologe en fait un continuateur de l’œuvre de Jean Crespin © DR |
1 Mémoires de l’estat de France, 1579.
2 L’auteur a en particulier consulté le minutier central des notaires parisiens.
Tous ceux qui tombent – Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Jérémie Foa, la Découverte, 2021, 350 p., 19 €
→ Prochainement : Faites entrer les accusés, le pouvoir royal, le clan des Guise, les Parisiens…