La Saint-Barthélemy : qui a vraiment donné l’ordre ? – Volet 2

Dans son discours du 26 août 1572, le roi endosse la responsabilité de l'exécution du comploteur Coligny et de son entourage. Pourtant, des contradictions sèment le doute tout comme l’absence d’ordre écrit. Plusieurs scénarios circulent, voici les trois principaux.

Les scénarios des historiens

Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
2e volet

 

 

Le scénario de Janine Garrisson : un crime d’État

 

La thèse de Janine Garrisson reprend un scénario classique. La Saint-Barthélemy est le « plus grand des crimes d’État de toute l’histoire de France ». L’historienne montalbanaise accrédite une hypothèse déjà envisagée par les contemporains des événements. Le pouvoir royal est à l’origine du massacre. Le 26 août 1572 Charles IX assume d’ailleurs l’exécution de Coligny, accusé de fomenter un complot. Rendre le pouvoir royal responsable du massacre c’est résoudre une énigme ou du moins une contradiction : comment peut-on passer d’un mariage de réconciliation à un massacre général ? Il faut rendre intelligible « l’incompréhensible Saint-Barthélémy1 » ! Organiser un mariage de réconciliation permet au pouvoir d’attirer la plus haute noblesse protestante dans un piège. Il s’agit donc d’un « stratagème » pour reprendre l’expression de l’ambassadeur du pape. Dans ce scénario la responsabilité du pouvoir royal se singularise en la personne de la machiavélique Catherine de Médicis. Le roi Charles IX apparaît inversement comme faible et influençable. Il est acculé à donner l’ordre… ce que la tradition a résumé sous la formule : «Soit, tuez-les tous, mais qu’il n’en reste pas un seul pour me le reprocher ». Reste à trouver le mobile. L’amiral est devenu trop influent auprès de Charles IX et pousse à intervenir aux Pays-Bas espagnols pour aider les insurgés protestants, au risque d’une guerre ouverte contre l’Espagne. Catherine orchestre logiquement son assassinat. L’échec de la manœuvre la contraint à faire éliminer les « huguenots de guerre ». Le massacre qui suit n’est pas prévu pour autant. La dynamique de la violence échappe alors au pouvoir royal. Arlette Jouanna reprend ce scénario, mais en incriminant le pouvoir royal en général et non Catherine de Médicis en particulier.

 

Le scénario de Denis Crouzet : un crime humaniste

 

Denis Crouzet part de l’attentat manqué qui place le roi dans une position délicate. Il doit rendre justice, mais les soupçons se portent sur l’entourage des Guise, voire le duc en personne. Mener l’enquête à son terme, c’est s’aliéner le clan ultra-catholique, le pape et l’Espagne ! Ne rien faire c’est attiser le ressentiment des huguenots, voire rallumer les guerres de Religion. Le pouvoir choisit d’éliminer les chefs protestants présents à Paris pour étouffer dans l’œuf tout risque de rebellion. Ce moindre mal est qualifié par Denis Crouzet de « crime humaniste ». Il faut en éliminer quelques-uns pour éviter le pire. Le massacre qui s’ensuit est un débordement qui échappe au pouvoir royal.

 

Le scénario de Jean-Louis Bourgeon : la main étrangère

 

Jean-Louis Bourgeon internationalise la Saint-Barthélemy. Le commanditaire de l’attentat manqué est le roi Philippe II d’Espagne. Coligny est devenu l’homme à abattre. Non seulement il est revenu en grâce à la cour et reste incontournable dans un royaume réconcilié, mais plus grave il pousse à intervenir aux Pays-Bas espagnols du côté des insurgés. Des huguenots ont déjà franchi la frontière et participent à la révolte de Mons. Éliminer Coligny, c’est non seulement mettre à mal le processus de paix en France mais aussi stopper net toute ingérence française dans la révolte des Pays-Bas. Dans ce scénario l’ambassadeur d’Espagne à Paris, Diego de Zuniga, devient un personnage-clé, le duc de Guise son bras armé. L’échec de l’attentat pousse l’Espagne à organiser le coup de force du 24 août. À côté du duc de Guise, le royaume ibérique peut aussi compter sur le soutien de la ville de Paris. La milice bourgeoise est l’autre acteur du massacre. Dans ce scénario le roi de France a perdu tout contrôle sur sa capitale, ce qui se renouvela en 1588 lors de la journée des barricades. En assumant le massacre Charles IX rétablit néanmoins son autorité, du moins en apparence.

Les débats entre historiens et les scénarios contradictoires laissent le lecteur perplexe. Au final la confusion prime sur l’explication. La Saint-Barthélémy reste un mystère que la controverse obscurcit. Il nous faut donc revenir aux sources pour évaluer chaque scénario et se forger sa propre opinion… Reste à sélectionner, hiérarchiser et interpréter ces sources aussi nombreuses que contradictoires.

Éric Deheunynck

1 Patrick Cabanel, Histoire des protestants en France, Fayard, 2012.


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