La Saint-Barthélemy, une approche historique – Volet 1

Il y a 450 ans la France était ensanglantée par le(s) massacre(s) de la Saint-Barthélemy (1). Certes l'événement commence à dater. Pourtant une plaque commémorative a été apposée en 2016 au Pont-Neuf, un nouveau livre est paru en 2021 (2), un colloque est prévu (3) cette année à la Sorbonne. Ce retour régulier de la mémoire de la Saint-Barthélemy n’est pas neutre. Le massacre n’est pas totalement passé.

Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, se souvenir pour aujourd’hui
1er volet

 

Le massacre de la Saint-Barthélemy par François Dubois © Domaine public

 

Tuer au nom de Dieu, déshumaniser ses victimes, utiliser la religion comme levier de pouvoir, massacrer ses voisins… rien de tout cela ne fait malheureusement partie du passé. Les rouages du massacre semblent intemporels, inséparables des humains, du moins de certains d’entre eux. S’en souvenir, c’est rester lucide dans un monde où les cavaliers de l’Apocalypse peuvent toujours ressurgir. L’actualité de la Saint-Barthélemy est donc une première raison pour s’y intéresser.

La seconde est plus historique. La Saint-Barthélemy fait partie de « ces journées qui ont fait la France ». C’est un tournant dans les guerres de Religion, la date qui marque le début du repli du protestantisme en France et de facto de la construction de son identité de minorité persécutée et résistante. La Saint-Barthélemy, expression du fanatisme religieux, rappelle la nécessité d’un État au-dessus des religions. Elle légitime ainsi la République laïque garante de la paix civile.

Pourtant, la Saint-Barthélemy reste un mystère pour l’historien et un objet de débats : comment l’expliquer, qui a donné l’ordre, pour quelles raisons ? S’intéresser au massacre, c’est aussi se pencher sur la démarche de l’historien, détective du passé qui s’appuie sur des sources pas nécessairement synonymes de vérité. Ce premier article propose de revenir aux faits, car l’enchaînement des événements semble bien établi, paradoxal pour un mystère !

 

L’antichambre du massacre

 

En cette année 1572 le royaume semble tourner le dos aux guerres civiles. La dernière en date, la troisième guerre de Religion (1568-1570), avait été des plus éprouvantes : batailles meurtrières, prisonniers exécutés, villes assiégées. Des caisses royales vides et une dernière bataille favorable aux protestants leur permettent de négocier en position de force. La paix de Saint-Germain est à l’avantage des huguenots. Face au parti protestant la solution militaire est devenue une impasse et un gouffre financier.

Les noces entre Henri de Navarre, prince protestant, et Marguerite de Valois, propre sœur du roi, doivent sceller la réconciliation. Le mariage hautement politique est célébré à Paris le 18 août 1572. La capitale pourtant hostile au protestantisme doit accueillir la plus haute noblesse huguenote. Les modalités pratiques sont discutées point par point. Le cardinal de Bourbon qui officie devant Notre-Dame, est un membre de la famille pour les protestants, un cardinal pour les catholiques. Marguerite rentre seule dans la cathédrale pour assister à la messe. Personne ne peut imaginer la suite des événements.

Le 22 août Coligny, chef du parti protestant, rentre chez lui à l’hôtel de Ponthieu… mais un coup d’arquebuse retentit. L’amiral est blessé au bras ; un mouvement inopiné lui a évité d’être touché en plein cœur. Les huguenots demandent justice et accusent un vieil ennemi de l’amiral, le duc de Guise. Certains crient même vengeance, la tension est à son comble.

 

Paris, épicentre du massacre

 

Le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, un commando guisard pénètre dans la demeure de Coligny. En pleine nuit l’effet de surprise est total. L’amiral est assassiné et défenestré tandis que sa garde rapprochée est exécutée. Décapité, émasculé, le corps de la première victime de la Saint-Barthélemy est ensuite en partie brûlé puis traîné jusqu’à la Seine pour finir au gibet de Montfaucon. À cette violence politique ciblée succède une violence populaire généralisée. Durant trois jours, et plus, les protestants de Paris sont arrêtés, exécutés, jetés à la Seine ou dans un puits. Des hommes comme des femmes, des enfants et des vieillards sont massacrés. Des familles entières disparaissent. Paris dont les portes sont fermées devient un piège mortel.

La Saint-Barthélemy est un massacre à huis clos. Les plus chanceux sont rançonnés sans garantie de survie pour autant. Les pilleurs suivent ensuite les massacreurs. Le 26 août le roi Charles IX assume devant le parlement l’exécution des « huguenots de guerre ». Selon la thèse officielle un complot protestant a été étouffé dans l’œuf. Le massacre doit donc cesser.

 

En province, la saison des Saint-Barthélemy

 

La nouvelle des massacres parisiens comme les ordres du roi arrivent en province. La tension monte. Les gouverneurs doivent protéger les protestants et pour cela interdire leur culte voire les arrêter et les mettre en lieu sûr… souvent en prison.

En Basse Normandie, le duc de Matignon assure la protection des huguenots… inversement, à Bordeaux, le gouverneur arrête les protestants au nom du roi pour ensuite les faire exécuter. Les villes prises par les huguenots en 1562 deviennent le théâtre de règlements de comptes. Rouen, Lyon, Orléans connaissent des Saint-Barthélemy des plus violentes. Certaines municipalités sont débordées par les plus radicaux comme à Lyon tandis que d’autres organisent elles-mêmes le massacre dans son entier comme à Toulouse.

Les historiens s’accordent pour estimer le nombre total de victimes à 10 000 pour l’ensemble du royaume et 3 000 à Paris. La Saint-Barthélemy s’apparente à une dynamique de la violence, passant d’un attentat manqué à un massacre général, d’une journée à une saison, de Paris à la province. Le roi ayant assumé l’exécution de Coligny, les protestants crient à la trahison tandis que l’ambassadeur du pape évoque le « stratagème de Charles IX ». Mais en l’absence de tout ordre écrit, les historiens ne s’accordent pas sur le scénario du massacre… qui a vraiment donné l’ordre ?

Éric Deheunynck

1 Le 24 août 1572 et les jours suivants, Paris a été le théâtre du massacre de la Saint-Barthélemy, après l’amiral Gaspard de Coligny, plusieurs milliers de protestants furent assassinés du fait de leur religion. « Jour qui avec horreur parmi les jours se compte, qui se marque de rouge et rougit de sa honte. » Agrippa d’Aubigné.

2 Jérémie FOA, Tous ceux qui tombentVisages du massacre de la Saint-Barthélemy, 2021, La Découverte.

3 « Cet horrible massacre si renommé par toute l’Europe : Représentations et usages de la Saint-Barthélemy en Europe et dans le Monde (15722022) ».


Prochain volet : « Qui a vraiment donné l’ordre ? Les scénarios des historiens ».

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