L’histoire rocambolesque de la plaque mémorielle du temple de Nantes

Le 11 novembre 1918, à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918, les cloches sonnent à la volée dans toute la France. La Grande Guerre prend fin après 52 longs mois de combats.

 

La plaque mémorielle du temple de Nantes © C. Nicol

……..

Par Charles Nicol, Église protestante unie de Loire-Atlantique

 

Près de 10 millions de soldats tués, de toutes nations, et des millions de blessés, amoindris pour la vie, défigurés et moralement détruits.

La France a payé un très lourd tribut de 1 400 000 morts, des millions de blessés et d’invalides1. Bilan auquel il convient d’ajouter les victimes civiles. La Loire-Inférieure compte plus de 26 500 soldats tués ou disparus.

 

À la mémoire des paroissiens morts pour la patrie

 

À Nantes et à Saint-Nazaire, la communauté protestante n’a pas échappé au carnage. Dans la quasi-totalité des communes de France, les conseils municipaux et les paroisses tant catholiques que protestantes ont voulu garder trace de la tragédie de la Première Guerre mondiale, soit par l’élévation de monuments à la mémoire des soldats morts pour la patrie, soit par des plaques mémorielles dans les lieux de culte, voire des ex-voto pour ceux qui sont revenus. Ainsi, en 1919, le Conseil presbytéral, sous la responsabilité du pasteur Théodore Cremer, lance une souscription dans le but d’élever une stèle commémorative dans le temple de Nantes. Les dons dépassent toutes les prévisions. 236 souscripteurs versent une somme totale de 2 608 F. La plaque en marbre bleuté cernée de bronze de 1,96 sur 0,90m est réalisée pour un montant de 1 263 F par la Maison Rivière, spécialisée en marbrerie et monuments funéraires, sise au 12 rue Lafayette à l’endroit même où se trouve aujourd’hui un magasin de confection pour homme2.

 

Enfin, le 19 décembre 1920, la plaque « En souvenir de nos soldats morts pour la patrie » est dévoilée. Sont inscrits en lettres d’or les noms de trente-cinq membres de l’Église qui ont péri. Au bas est gravé un verset de l’Apocalypse de Jean, 12.11 : « Ils n’ont point donné leur vie, ils n’ont pas reculé devant la mort ». Recouverte ce jour-là du drapeau tricolore bordé d’un voile de crêpe, la stèle est inaugurée dans le temple en présence des autorités civiles et religieuses, devant une assemblée fort nombreuse qui écoute dans le recueillement les trois allocutions en chaire du pasteur Crémer, d’Hippolyte Durand-Gasselin, président du Conseil presbytéral, et du général Émile Zimmer, Alsacien luthérien et membre de l’Église de Nantes3. Sauvegardée du bombardement du 23 septembre 1943 elle est transférée après la guerre dans le nouveau temple4.

 

Disparue puis réapparue !

 

Or depuis 1978, la plaque était considérée comme définitivement perdue malgré de nombreuses recherches. Elle a été retrouvée et restituée au temple, 45 ans après sa disparition.

L’histoire est véritablement rocambolesque : inaugurée en 1920 à la mémoire des paroissiens de l’Église réformée de Nantes « morts pour la patrie », refixée dans le nouveau temple, place Édouard Normand, puis démontée pour la protéger des travaux en cours (pose du vitrail, réfection de peinture…), elle s’est volatilisée ! Mais en février 2023 elle est réapparue sous les yeux médusés des membres de l’Église ! Que s’était-il donc passé ?

De crainte que cette plaque de marbre soit abimée, Guy Cadier, pasteur de l’Église, avait demandé à la personne faisant fonction de concierge à l’époque, de l’entreposer provisoirement à son domicile à Orvault. La plaque fixée sur le mur perpendiculaire des tuyaux d’orgue fut donc démontée. À l’issue des travaux, il était prévu de la replacer sur un autre emplacement, alors non défini, mais plus approprié que le précédent. Puis le temps passa, et nul ne se soucia de ce patrimoine de 130 kg. Le pasteur changea d’affectation, le concierge décéda, et cette histoire tomba dans l’oubli. D’aucuns pensaient qu’elle avait été subtilisée ou tout simplement détruite.

Après plusieurs années de recherches infructueuses, le dénouement improbable de notre histoire arrive enfin : non seulement la plaque avait été effacée de la mémoire du temple, mais déménagée dans une remise limitrophe de la maison où elle avait été entreposée. Posée à même la terre battue, elle servait de dalle de sol. C’est un membre de l’Union nationale des combattants (UNC) qui l’a découverte début 2023, totalement par hasard, dans une maison en rénovation. En partance pour la déchetterie, l’irréparable a été évité. Le mémoriel a ensuite été entreposé dans les locaux de l’UNC puis restitué au temple protestant le 12 avril dernier en attendant qu’il soit refixé sur le mur d’entrée du temple. Curieux destin pour cet élément patrimonial qui a échappé à plusieurs reprises aux bombardements, à l’oubli, et à une disparition inéluctable.

 

Une cérémonie de restitution de cette plaque aura lieu le 9 novembre prochain, à 18h30, au temple protestant, place Édouard Normand.

 


 

1 Les chiffres des pertes humaines sur le front sont terrifiants : 1 397 000 soldats français, 2 000 000 Allemands, 850 000 Anglais, plus de 100 000 Américains dont près de la moitié décède de maladie dont la grippe espagnole ou d’accident. Pour aller plus loin, Mickaël Bourlet, L’armée américaine dans la Grande Guerre, 1917-1919, Rennes, éditions Ouest-France, 2017, 144 p.

 

2Arch. dép. Loire-Atlantique, 124 J 139.

 

3Général du 11e corps d’Armée de Nantes et officier qui permit de disculper le capitaine Dreyfus.

 

4Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, durant un culte de 1946, alors que le temple est détruit et que l’on compte à nouveau 7 morts et disparus entre 1940 et 1944, tant au combat que durant les bombardements, le pasteur Raoul-Duval invite « à prier pour ceux dont nous commémorons la mémoire dans l’oubli collectif : il nous a été demandé de rappeler, au cours de ce culte, le souvenir des morts de la guerre appartenant à notre paroisse et à celle de la Fraternité. Nous vous invitons à écouter leurs noms dans la communion de ceux qui les pleurent, dans la fidélité à leur souvenir et dans l’attente de la résurrection », Arch. dép. Loire-Atlantique, 124 J 139.

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