Loi de séparation des Églises et de l’État, les bulletins d’adhésions

Jocelyne Cathelineau, membre de l’Église protestante unie de Melle-Celles-Saint-Maixent, s’est plongée dans les archives de son Église. Elle a publié quatre articles dans le journal de son Église, Bonne Nouvelle Jonas. Nous vous livrons le quatrième.

Trésors d’archives – volet 4

 

Par Jocelyne Cathelineau, Église protestante unie de Melle-Celles-Saint-Maixent

 

 

Lorsqu’on fait le tri dans les 77 bulletins d’adhésion à l’Église réformée de Saint-Maixent et environs, bulletins qui demandaient aux fidèles de 1906 de donner expressément le montant de la cotisation annuelle qu’ils comptaient verser… la même question se pose sans cesse : à quoi comparer les sommes indiquées ?
Malgré nos recherches, nous ne disposons d’aucun élément de référence concernant le coût de la vie, les salaires de l’époque, le prix des terres, le revenu possible d’une petite ferme… Le seul renseignement sûr est écrit noir sur blanc et en belles lettres penchées sur le premier budget prévisionnel de la nouvelle Église séparée de l’État : le pasteur gagne 2 000 francs par an, auxquels s’ajoute une indemnité pour desserte de 500 francs. La concierge du temple reçoit pour sa part 60 francs par an, ce qui la classe parmi les « indigents » dispensés du paiement de la cotisation.

 

Le critère des 5 francs

 

Nous pouvons faire l’hypothèse que les écarts entre les cotisations promises par les différents adhérents reflètent des disparités sociales réelles (et pas la générosité ou l’avarice de telle ou telle personne). Le fait que la plupart des gens n’indiquent pas quelle est leur profession ne nous aide pas. Arbitrairement, nous avons décidé que la « petite aisance » commence à 5 francs par an et par personne, il fallait bien trouver un critère ! …


Il semble qu’il n’ait pas été suggéré d’inclure dans la cotisation les enfants en bas âge et que l’admission à la Sainte-Cène ou l’âge de 14 ans soit le critère pour être considéré comme « paroissien ». Cependant, les familles sont libres de cotiser pour leurs enfants petits. C’est ce que fait un certain Fernand L, qui précise au-dessus de son élégante signature qu’il est « lieutenant-professeur- adjoint à l’École militaire d’infanterie » et qu’il donnera 15 francs pour lui- même, son fils Henri, 3 ans, et sa fille Paulette, 14 mois. Pas d’épouse, apparemment, pour ce jeune homme de 29 ans qui habite rue des Marais à Saint-Maixent (soit l’actuelle rue Hay O. Clerc). Jacques B qui, lui, vit avec deux autres adultes à l’Ouillette d’Exireuil, semble avoir fait également le calcul « une personne, 5 francs » puisqu’il promet 15 francs.

 

Les fiches à 10 francs

 

Passons aux fiches à 10 francs. Certains promettent cette somme pour deux comme un nouveau lieutenant, Pierre C, qui vit avec « Madame » route de Poitiers, c’est-à-dire avenue de Blossac. Ce qui nous fait penser que l’armée ne rémunère guère ! Au foyer de Pierre C vit « Madame L » qui remplit une fiche à part et promet 10 francs, sa belle-mère sans doute.

 

Peuvent se permettre de verser 10 francs pour eux tout seuls : une veuve de Saivres, Madame Jean G (dont la domestique est une paroissienne également, logée par sa patronne, et qui promet 3 francs) ; Julie N, rue de Calabre à Saint- Maixent ; François B, domicilié au Pont des Lessons à Nanteuil (il n’avait que quelques pas à faire pour se rendre au temple, c’est tout proche !), Louis M, qui précise qu’il est propriétaire à Paunay (Saivres)…

Montons d’un cran : deux fiches indiquent une cotisation de 25 francs pour une veuve et sa fille, résidant rue Grande à Saint-Maixent ; et pour Léon B, avenue Gambetta dans cette même ville, qui vit seul.

 

Jour de foire à Saint-Maixent© DR

Un cotisant à 150 francs

 

Bond en avant pour l’unique cotisant (retrouvé) à 150 francs par an, qui se trouve être le président du Conseil presbytéral (nous l’avons déduit d’autres documents). Émile N vit à Charchenay de Saint-Martin de Saint-Maixent avec son épouse Berthe. Beaucoup reconnaîtront un des fondateurs du Crédit Agricole en Deux-Sèvres, à l’origine de beaucoup d’œuvres dont une maison de retraite à La Mothe, et qui a été président du Conseil Général dans les années 40 sous la bannière du « Parti Radical Valoisien » désormais disparu. Émile N possédait beaucoup de foncier et une belle propriété, désormais vendue. Quelques fiches plus loin, un certain Albert G dit être hébergé « chez M. Émile N de Charchenay » et disposer « de presque rien de revenus ». Il raye ensuite « presque » mais promet 2 francs. Un parent ? Un ancien domestique qu’on garde, la vieillesse venue ? On ne sait.

 

Souvent, veufs et veuves vivent au foyer de leurs enfants, n’ayant pas de revenus suffisants pour vivre indépendamment. Ce n’est pas le cas de la plus grosse cotisante retrouvée, Madame Veuve Léonie G, qui annonce 100 francs « pour une seule grande personne », elle-même. Elle habite rue du temple (là où avait été construit puis démoli un temple au XVIIe siècle).

 

Jour de foire à Saint-Maixent au début du siècle, on remarquera le mélange des populations urbaine et rurale visible dans le costume.

 

Le milieu social en fonction des lieux

 

On pourrait presque dessiner une carte de la pauvreté et de l’aisance sur le Saint- Maixentais en relevant les noms de lieux-dits dans les villages et les noms de rues dans la ville elle-même. Les personnes se disant « indigentes » (voir nos articles précédents) ne vivent jamais dans un village, toutes sont sur Saint-Maixent, dans le faubourg Charrault et les rues anciennes de l’hyper-centre : rue Gueule du Loup, rue des Capucins, place de l’Abbaye… où nous voyons encore de toutes petites maisons, la porte d’entrée au ras de la rue, en piteux état, murées, abandonnées depuis des années. Les gens modestes qui cotisent pour 1 ou 2 francs par personne, voire pour toute la famille, se trouvent dans les hameaux et villages (Saivres, Saint-Martin, Nanteuil…) ce doivent être des cultivateurs ou de petits artisans. Dans cette catégorie des peu aisés, les urbains sont répartis un peu partout en ville. Les « riches » (selon le critère que nous avons défini) habitent rarement dans les villages, M. Émile N de Charchenay, propriétaire foncier, étant l’exception. Et on voit encore de belles maisons en pierre de taille, avec porches, cours et dépendances, jardin de derrière, ou des hôtels particuliers clos de hauts murs, dans certaines rues du centre ancien comme la rue de la Croix (actuelle rue Anatole France, où sera construit le presbytère) ou dans les voies plus excentrées comme l’avenue de Blossac, l’avenue Gambetta et la rue du Temple. La communauté réformée est tout simplement, en 1906, à l’image de son territoire, et les différences sociales se lisent dans l’architecture urbaine et l’occupation des quartiers.

 

 

 

Lire le premier article : Loi de séparation des Églises et de l’État, l’Église compte ses forces.

Lire le deuxième article : Loi de séparation des Églises et de l’État, les cotisations en 1906.

Lire le troisième article : Loi de séparation des Églises et de l’État, le calcul des cotisations.

 

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