Par Céline Rohmer
Si le mot vient du grec, ses racines puisent à la littérature antique juive et grecque : les maîtres juifs utilisaient déjà ce langage imagé pour enseigner (l’Ancien Testament en garde des traces : 2 S 12.1-7 ; Jg 9.7-20), et la fable (telle qu’Ésope la pratiquait dès le VIe siècle avant notre ère) lui prête la plupart de ses qualités narratives. Au XIe siècle, le mot parabole offre même à la langue française le mot parole – attestant au passage qu’aujourd’hui encore notre parole dit en réalité plus que ce qu’elle dit.
Des histoires simples et courtes…
Le mot parabole peut désigner différentes formes littéraires. Ainsi la traduction œcuménique du Nouveau Testament traduit le mot grec par parabole, mais aussi énigme (Mc 4.11 ; Mt 15.15), comparaison (Mc 13.28 ; Lc 21.29), dicton (Lc 4.23), symbole (He 9.9). Cette diversité atteste que le mot ne recouvre pas une forme littéraire précise et clairement définie. Sur ses 50 emplois dans le Nouveau Testament, 48 se trouvent dans les évangiles de Matthieu, Marc et Luc1. Eux seuls ont fait de Jésus un paraboliste hors pair, un conteur d’histoires simples et courtes, dépourvues de détails superflus et confiées à l’imagination de leurs auditeurs qui en prolongeront – ou non – les effets de sens.
Compréhensible par le plus grand nombre, méprisée par les cercles intellectuels, la parabole évangélique s’adresse à toutes sortes d’auditeurs : foules (Mt 13.2-9), disciples (Mc 4.10-13), amis du Baptiste (Lc 5.33-39), responsables religieux (Mt 21.33-46). En public ou en privé, Jésus parle en paraboles pour interpeller, controverser et enseigner : il mise sur la capacité de leurs images à faire entendre sa parole – celle qu’il est. À son écoute, ses auditeurs sont souvent troublés (Mt 22.45-46), parfois même déstabilisés (Mt 22.15), mais certains sont transformés (Lc 10.25-37).
… qui portent le masque de la simplicité
Ses paraboles déploient un récit qui vaut comparaison. Leur fonctionnement consiste à rapprocher deux champs de signification, de les confronter à travers un récit plus ou moins développé et d’inviter l’auditeur à en réceptionner les effets. L’oralité est leur milieu naturel : sans auditeur, les paraboles meurent. Racontées pour être expérimentées, elles pénètrent la sphère privée de leur destinataire, parlent de lui, de sa vie avec Dieu et avec les autres. Les paraboles n’emploient pas le langage univoque qui définit, explique et ordonne le monde. Elles portent le masque de la simplicité mais se révèlent complexes pour qui s’en approche parce que leur langage appartient au langage figuratif qui évoque, excite l’imagination et éveille les sens. Elles œuvrent poétiquement en cherchant une existence où se poser pour délivrer le sujet qui les anime : Jésus le Christ. Messagères de la bonne nouvelle qu’il est, elles accomplissent sans relâche leur mission, échouent parfois, mais recommencent toujours pour celui ou celle qui les écoute et les lit.
1 Les deux autres mentions se trouvent dans l’épître aux Hébreux mais sont sans rapport avec les histoires que Jésus racontait (He 9,9 ; 11,19) – ni l’évangile de Jean, ni les épîtres de Paul n’emploient ce mot : la parole qu’est Jésus passe pour eux par d’autres jeux de langage.