Par Angelika Piché, pasteure et directrice de la formation en français de l’Église unie du Canada
Ainsi, la question du rôle des femmes a trouvé une réponse précoce dans l’ordination de la première femme pasteure en 1936, Lisa Gruchy. Elle était autorisée à exercer son ministère pourvu qu’elle ne fût pas mariée – tout comme les institutrices¹, les infirmières et les diaconesses de cette époque. Les discussions ont continué au sein de l’Église sur le statut des femmes mariées jusqu’à ce que toute restriction soit éliminée. Depuis les années 1980, plusieurs femmes ont été élues comme modératrices du Conseil général, l’équivalent de notre Synode national, plus haut poste de direction dans l’Église unie.
Un débat libérateur et controversé
Les discussions se sont poursuivies dans l’Église unie au sujet du mariage et de l’ordination, mais l’accent s’est déplacé du rôle des femmes à celui des personnes homosexuelles : les hommes gays et les femmes lesbiennes. Les personnes bisexuelles et transgenres ont fait lentement leur apparition dans l’étude de la sexualité. En 1984, le rapport Don-Dilemme-Promesse affirme que « tous les êtres humains sont créés à l’image de Dieu, indépendamment de leur orientation sexuelle ; nous sommes tous et toutes égaux ». Cela a préparé le chemin pour l’importante décision du Conseil général de 1988 déclarant dans le document Membership, Ministry and Human Sexuality (« Statut de membre, ministère et sexualité ») que « toute personne, quelle que soit son orientation, qui professe sa foi en Jésus-Christ et son obéissance à celui-ci, est bienvenue dans l’Église unie et peut en devenir membre à part entière ». En même temps, le document souligne que chaque membre de l’Église unie est admissible à devenir pasteur. Les débats menant à cette décision et la prise de position finale ont été libérateurs pour beaucoup de personnes, mais ont aussi été très controversés. L’Église a gagné et a perdu bon nombre de membres à cause de ce point de vue avant-gardiste à son époque. Elle a néanmoins poursuivi sa route jusqu’à accepter de célébrer les mariages de personnes du même sexe. En 2005, le gouvernement du Canada a légalisé le mariage entre conjoints du même sexe. L’Église unie a fait partie des organismes consultés en préparation de la législation.
Pour bien saisir la portée des décisions du Conseil général, il faut savoir qu’il s’agit de la plus haute instance de l’Église, formée de représentants et représentantes élus de toutes les communautés de foi et qui donne l’orientation à l’ensemble de l’Église. Cela ne veut pas dire que toutes les communautés de foi sont nécessairement obligées de mettre en pratique les principes énoncés.
Une grande autonomie
Les paroisses et communautés de foi ont une grande autonomie dans l’Église unie et se gouvernent sur les questions spirituelles les concernant, ainsi que sur leurs pratiques. Chaque communauté de foi et chaque pasteur doit alors prendre la décision, s’il ou si elle accepte de célébrer des mariages de personnes du même sexe; il y a donc un programme qui permet à des paroisses de s’identifier publiquement comme « inclusives » et d’affirmer ainsi leur ouverture à toutes les personnes LGBTQ+2 (lesbienne, gai, bisexuel, trans, queer, « two-spirited »² et autre).
Les questions d’inclusion et de justice sociale sont évidemment bien plus larges que l’orientation sexuelle ou l’identité du genre. Depuis les années 1990, les différentes formes de racisme dans la société et à l’intérieur de l’Église même sont examinées et abordées.
Consciente de son silence pendant l’Holocauste, l’Église unie a demandé une étude « pour accroître la conscience des racines chrétiennes de l’antisémitisme et chercher des moyens d’être plus sensibles aujourd’hui à nos sœurs et à nos frères juifs dans notre prédication et dans notre discipline ». Le document Rendre un témoignage fidèle, adopté dans sa version finale en 2003, en est l’exemple.
Les modérateurs de l’Église ont prononcé deux excuses officielles envers les autochtones : une première en 1986 pour l’implication de l’Église dans la colonisation des Premières Nations et la destruction de leurs cultures. La seconde déclaration d’excuses, en 1998, s’adresse aux survivantes et survivants des pensionnats autochtones et à leurs familles. Cette histoire sombre au Canada, où les enfants autochtones ont été arrachés à leurs familles dès l’âge pré-scolaire pour être « éduqués » et « civilisés » dans des internats pendant une période de 150 ans, a des répercussions importantes jusqu’à aujourd’hui. L’Église unie collabore activement avec sa constituante autochtone pour la guérison et la réconciliation et pour contrer le racisme encore présent dans la société.
Un statut dynamique et progressiste
Une autre forme de racisme, tel que le traitement discriminatoire des personnes de couleur au Canada, préoccupe les dirigeants de l’Église unie. Bon nombre de rapports, de ressources et d’initiatives sont entrepris pour sensibiliser tous les membres de l’Église aux enjeux du racisme³. Un aperçu historique est disponible sur le site de l’Église unie.
Tout récemment, en octobre 2020, le Conseil général a adopté une proposition d’Engagement à devenir une Église antiraciste. La vision est exprimée ainsi : « Une Église antiraciste est une Église qui travaille activement à l’élimination du racisme et de l’idéologie suprématiste blanche à tous ses paliers, qui poursuit le démantèlement de l’idéologie colonialiste de sa théologie et qui s’efforce de répartir le pouvoir racial de façon plus équitable. Elle travaille à éliminer le racisme pour que toute personne, peu importe sa race, puisse participer pleinement et librement à la vie de l’Église. » (L’Église unie du Canada : en marche vers une Église antiraciste, p. 2)
D’autres enjeux d’égalité entre les personnes, sont abordés comme l’inclusion du plus grand nombre possible de personnes vivant avec les défis de santé, soit au niveau de la santé mentale, soit comme handicap physique.
Ces exemples démontrent que l’Église unie du Canada voit la Bonne Nouvelle de l’Évangile exprimée et vécue dans l’accueil et l’inclusion de chaque personne. Cela l’amène souvent, contrairement au préjugé de beaucoup de gens face aux Églises en général, à ne pas soutenir le statu quo conservateur, mais plutôt la dynamique progressiste de la société.
Notes et précisions de Jean Loignon
¹ Rappelons que dans le contexte francophone canadien, la grande majorité des enseignantes étaient des religieuses.
² « Two spririted » : « Aux deux esprits (masculin et féminin) », expression autochtone préférée au terme de
« bardache » jugé péjoratif.
³ Rapports, ressources et initiatives pour sensibiliser tous les membres de l’Église aux enjeux du racisme.