Par Hermann Grosswiller
Certains paroissiens viennent au culte pour se nourrir d’une prédication. D’autres se disent plus sensibles au rythme de la liturgie ou à la présence de la communauté. Car la prière tant liturgique que personnelle, semble les faire entrer dans une autre dimension, voire un autre état.
Tout l’être est convoqué
Prier peut en effet concerner toutes les dimensions de l’être humain, à l’image de l’agenouillement ou de la jonction des mains pratiqués dans certaines traditions, ou bien des psaumes portant mention de tambourins et trompettes. Mais dans le protestantisme il est souvent fait appel en premier lieu à l’intellect au prétexte qu’une prière est avant tout la formulation d’une demande ou d’un remerciement ; or cela ne représente que la part émergée de l’iceberg spirituel. Que l’on s’essaye à réciter vingt fois le Notre père en fermant les yeux et l’on s’apercevra vite que l’esprit se détache des mots pour introduire à une autre dimension plus ouverte, où les couleurs et les sensations prennent de l’importance. Que l’on scrute un moment une icône et le regard se trouve comme happé par une porte qui mène vers un ailleurs. Une conversation en profondeur avec un ami donne aussi cette impression de vivre dans un autre monde lorsque le temps semble se figer dans un instant d’éternité.
Écouter Dieu nous prier
Ces simples constats traduisent la complexité et la richesse infinies du monde spirituel dans lequel navigue l’être humain sans même parfois s’en rendre compte. La relation avec le monde invisible, que l’on peut appeler le lien de prière, convoque ainsi tous les sens et touche à l’intelligence comme aux dimensions psychique, physique et relationnelle de la personne. Mais ce lien peut également être considéré comme un mouvement de va-et-vient, de l’humain vers Dieu comme de Dieu vers l’humain. La prière est alors un double flux qui porte le souci du monde vers Dieu et la présence de Dieu vers le monde.
Si cela est juste et bon
L’impact de la prière sur l’individu est donc d’une surprenante réalité, quand bien même il paraît parfois difficilement identifiable au sein de la vie quotidienne. Sur un plan purement psychique par exemple, prendre du recul et formuler un besoin suffit à apaiser automatiquement une personne en dehors de toute spiritualité. Mais la réalité de la prière est d’un autre ordre puisqu’elle est un lien, une relation en va-et-vient. Prier tend tout d’abord à unifier l’être humain dans la mesure où toutes ses dimensions sont touchées et en relation avec un dieu qui se définit lui-même comme Un. Et la prière fait fi des volontés construites, des militances ou des ego lorsqu’elle est une écoute de Dieu. À ce titre, la méditation de passages bibliques peut tout à fait nourrir la prière et amener l’être humain à se décentrer de ses certitudes et de croyances toutes faites.
Ce travail d’ouverture et d’humilité est spécialement perceptible lorsqu’une communauté est présente, par exemple à l’occasion d’une étude biblique ou d’un culte. Il a aussi un indéniable impact sur la réalité, tant il induit de changement de regard et d’attitude envers soi-même et les autres. Cette transformation de soi faisait dire aux disciples de Pierre Valdo, ancêtres vaudois de la Réforme, cette phrase qui redonne à la prière un plein sens : « Père, si cela est juste et bon, exauce ma prière et qu’elle me change. »