Par Jean Loignon
Le sujet est vaste et présente une manière d’évidence. L’Ancien Testament nous offre en effet une galerie extraordinaire de héros, parfois d’héroïnes (si, si…) qui jalonnent l’histoire d’Israël et de ses relations avec l’Éternel, son Dieu. Or le propre d’un héros n’est-il pas d’être courageux, de dominer sa peur et d’agir malgré le danger ou la souffrance ? Et ce, alors que peu de choses ne le prédisposent à relever de tels défis ?
Des exemples
Prenons l’exemple de Jacob, fils d’Isaac, ce roublard invétéré qui se retrouve un jour à la veille de rencontrer Esaü, son frère jumeau qui a toutes les raisons de lui en vouloir à mort (Genèse 32). Jacob dit sa peur mais ne se défile pas et au bord du gué du Jabboq, il trouvera la force de lutter contre un messager obscur qui lui donnera son nom définitif : Israël. Et son fils Joseph, jeté dans une citerne par ses frères, vendu comme esclave en Égypte, accusé de viol par sa maîtresse et emprisonné, mise sa vie dans sa rencontre avec le Pharaon, dont il élucide les rêves obsessionnels (Genèse 39-41). Plus tard, quand le sort des Hébreux installés en Égypte empire, Moïse signifie nettement au Seigneur ses incapacités avant d’accepter sa mission de libérateur et d’aller affronter le Pharaon (Exode 4.10). Après lui, Josué semble hésiter à entrer dans la Terre Promise, puisque le Seigneur doit l’exhorter : « Sois fort et courageux, car c’est toi qui vas donner à ce peuple le pays que j’ai juré à ses pères de leur donner… » (Josué 1.6). Et David, tout berger qu’il est, capable de défendre son troupeau contre les lions et les ours, ne lui faut-il pas un sacré courage pour affronter Goliath, le guerrier géant et cuirassé des Philistins ? Et nous pourrions rappeler la constance des Juifs persécutés à Babylone, à l’instar des trois jeunes gens jetés dans la fournaise, ou de Daniel, autre interprète de visions royales, jeté dans une fosse aux lions…
Un dialogue explicite
Comment s’explique ce courage qui anime ces hommes (nous aborderons après le cas des femmes) du Premier Testament ? Parce qu’ils s’adressent à Dieu, dans un dialogue montré comme explicite et permanent. Ils ne craignent pas de confesser leurs torts ou leurs faiblesses, Dieu leur répond et ils nouent avec lui une relation de confiance totale. C’est David qui énonce fièrement devant Goliath : « Toi, tu viens à moi armé d’une épée, d’une lance et d’un javelot ; moi, je viens à toi, armé du nom du Seigneur, le Tout-Puissant, le Dieu d’Israël que tu as défié. Aujourd’hui même, le Seigneur te remettra entre mes mains, je te frapperai et je te décapiterai… » (1 Samuel, 17.46-47).
Nous aimons ces histoires qui nous ont bercés parfois depuis l’enfance, mais pouvons-nous nous identifier à ces personnages mythologiques et compter sur cette toute-puissance que leur confère la faveur divine, une toute puissance dont nous aurions bien besoin pour surmonter nos petites ou grandes difficultés, individuelles et collectives ? « Je ne suis pas un héros », chantait Daniel Balavoine, hérault alors de toute une humanité…
Des personnages du quotidien
Il nous faut alors porter notre regard sur d’autres figures, plus discrètes mais non moins courageuses : je pense à ces cinq sœurs citées dans le livre des Nombres (27.1-7) : leur père est mort sans héritier mâle et la coutume va les spolier de tout héritage. Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirça ont le courage d’aller dénoncer cette injustice devant Moïse, qui transmet leur demande à Dieu, lequel leur donne raison… Je pense à Rahab, la prostituée de Jéricho qui trahit son peuple en accueillant et protégeant les espions hébreux, parce qu’elle adopte leur Dieu et lui fait une confiance a priori déraisonnable… Un Dieu dont elle a seulement entendu parler (Josué 2.9-10). Je pense à la reine Esther, qui a toujours caché au roi de Perse son identité juive et qui met en jeu son amour et sa vie pour sauver son peuple d’une persécution imminente. Or, pas une seule fois le livre d’Esther ne mentionne Dieu…
Le Nouveau Testament ne fourmille pas de figures héroïques engagées dans des combats épiques ; il est fait de personnages ancrés dans le quotidien de leur pays et de leur époque, ce qui nous les rend plus humains et peut-être plus accessibles. Des personnages qui assument leurs faiblesses et leurs contradictions, mais qui témoignent aussi de courage. Et là, nous avons une grande mixité : une femme perpétuellement impure par un dérèglement sanglant ose braver l’interdit et approcher Jésus. Elle pense ne pas avoir le droit de se présenter de face ni de lui parler, seulement de toucher son vêtement dans le dos. Et son courage la guérit (Matthieu 9.20-22).
Un courage non garanti
La femme cananéenne de Tyr a le courage de contredire Jésus quand il la rabroue sèchement en la renvoyant à sa condition de païenne, identifiée aux chiens qui mangent sous la table. Et Jésus reconnaît implicitement son erreur et le bien-fondé de la démarche de cette femme restée anonyme (Matthieu 15.21-28).
La Samaritaine est aussi l’exemple d’un courage particulier, de ceux ou celles qui n’ont plus rien à perdre. Elle cumule les exclusions, en tant qu’hérétique, femme et de mauvaise vie. Mais elle engage un dialogue franc avec Jésus qui la conduit à une conversion en celui qu’elle reconnaît alors comme le Christ (Jean 4.1-42).
Jésus était-il courageux ? La question semble saugrenue, pour Lui qui, à peine baptisé, tient tête crânement au Diable… Mais son humanité affirmée est au cœur de la relation que Dieu veut renouer avec les hommes et les femmes tels qu’ils sont. Et Jésus, s’Il a affronté sereinement Pilate et le Sanhédrin, vacille dans le dur supplice de la croix. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Le courage humain n’est pas garanti, il ne dispense pas de la peur ou de la trahison, à l’instar de Pierre le plus fidèle disciple ; mais ce courage, s’il est nourri par une foi qui peut douter et qui n’en est que plus authentique, ne disparaît jamais.
L’apôtre Paul, embarqué vers Malte dans un navire en perdition où s’entassaient des passagers terrorisés, redonne courage à ces hommes et à ces femmes qui n’avaient probablement jamais entendu parler de Jésus. Il improvise une cène, rompt le pain et tous, reprenant courage, se sont alimentés à leur tour… (Actes 27.35-37). Comme nous ?