Histoire politique de l’antisémitisme en France
Par Marc de Bonnechose, Paroles protestante Paris
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Il est évident qu’aucun Français n’est antisémite, encore moins les dirigeants politiques, que la peur et la haine du Juif n’ont plus cours dans la société d’aujourd’hui, mis à part quelques illuminés nostalgiques du nazisme qu’il faut combattre. C’est en tout cas le discours des responsables politiques depuis des décennies, alors même qu’ils rappellent sans cesse l’interdit.
Analyser comportements et mots
La réalité est cependant coriace, elle s’insinue dans les pensées et jusque dans les réactions d’un personnel politique pourtant averti. En douze tableaux parcourant l’échiquier politique depuis 1967 de l’extrême droite à l’extrême gauche, des spécialistes du sujet, historiens ou journalistes ont traqué les paroles, les sous-entendus des différentes mouvances de la société et tenté de comprendre comment la force de l’antisémitisme continuait de croître, s’adaptant à chaque époque et à chaque milieu. Le fruit de leurs investigations est réuni dans un livre intitulé Histoire politique de l’antisémitisme en France de 1967 à nos jours*. Il en résulte des constats que le peuple français et les Églises en particulier auront à prendre en compte.
Un clair-obscur de définitions mouvantes
Car l’analyse est terrifiante. On se doutait des propensions de l’extrême droite à rejeter ce qui est différent ou étranger et d’assimiler le judaïsme à cette étrangeté. On connaissait la tendance de l’extrême gauche à lutter contre le sionisme et la politique coloniale israélienne. Or des mouvements s’opèrent, fracturant ces grands ensembles de pensée. À droite on refuse aujourd’hui d’assimiler le Juif à l’étranger, préférant montrer du doigt le monde musulman ; dans le même temps, à gauche, on fustige les tenants du sionisme à tel point que le passage vers l’antisémitisme est devenu plus que poreux. Les partis plus classiques sont également touchés, dans une moindre mesure.
Excuser, c’est transmettre
C’est que le fond de la culture française n’en a pas fini avec l’hydre du bouc émissaire. Bien sûr il s’agit souvent d’un mot mal choisi, d’une virgule subreptice dont on ne voit pas directement la portée, petits relents d’ambiance insaisissables. C’est ce « bien sûr » qui est justement le souci ; il excuse tout, minimise tout, transmet tout, sabote tout. Ces infimes détails que nul ne maitrise vraiment fonctionnent dans la réalité comme des lapsus de la honte. Ils exsudent des individus sans être consciemment convoqués.
Décoder la gêne
Toute la force de ce livre parfaitement documenté est là, dans cette faculté d’analyse des historiens de notre temps, sous la houlette vigilante d’Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarrat et Rudy Reichstadt. Un scalpel implacable et salutaire. Une seule chose manque à cet ouvrage de référence, c’est la capacité à descendre jusqu’aux degrés les plus ténus des concessions personnelles, celles tout intérieures qui, excusées par avance, teinteront tout de même de noirceur tout ce qui sera pensé et touché. Mais un mur des lamentations n’y aurait pas suffi. Nous avons ici les outils suffisants pour décoder chacune de ces petites gênes souvent ressenties au gré de nos rencontres.
Sans doute les Églises, qui ont eu dans l’Histoire une responsabilité écrasante dans la transmission de l’antisémitisme via un rejet du judaïsme parfois décrit comme déicide, ont-elles aujourd’hui la mission de participer pleinement au changement des mentalités. Sans doute ont-elles les moyens d’impacter la civilisation présente, plus profondément que quelques paroles d’humanisme. Autant dire qu’il serait bon qu’elles en soient réellement motrices, notamment par leur accueil d’autrui, leurs études bibliques, leur engagement social et sociétal, et avant tout leur catéchèse. Car c’est au cœur de chaque individu que se joue l’inéluctable d’un peuple.
* Histoire politique de l’antisémitisme en France de 1967 à nos jours, sous la direction d’Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat et Rudy Reichstadt, éditions Robert Laffont, 2024.