Bethsabée, des hommes et une femme*

Relatée par le deuxième livre de Samuel aux chapitres 11 et 12, l'histoire de Bethsabée a inspiré quantité de peintres, Véronèse, Rembrandt, Chagall..., d'écrivains, Pierre Benoit, Torgny Lindgren, Marek Halter..., des cinéastes à péplum, et Léonard Cohen y fait une allusion explicite dans son célébrissime « Hallelujah ».

Femmes de la Bible - 3

Visuel : Bethsabée au bain, 1724, Sebastiano Ricci, musée des Beaux-Arts de Budapest © Domaine public.

…..2 Samuel 11 et 12

 

Par Jean Loignon, Église protestante unie de Loire Atlantique

 

Il en ressort l’image d’une femme aussi séduisante que séduite, assez éloignée du drame que choisit de raconter la Bible; un drame qui peut être lu en résonance particulière avec notre actualité.

 

Une paternité embarrassante

 

Résumons : le roi David, au sommet de sa gloire, aperçoit un soir depuis la terrasse de son palais de Jérusalem une femme prenant son bain, laquelle lui inspire un violent désir. C’est Bethsabée, l’épouse d’Urie, un de ses officiers parti à la guerre. David la fait quérir, couche avec elle et la met enceinte. Pour masquer une paternité embarrassante, le roi rappelle Urie du front pour une permission conjugale mais le soldat refuse un privilège que ses hommes n’auraient pas. Dépité, David bascule dans le crime en renvoyant Urie à la guerre, porteur d’une lettre exigeant qu’il soit placé en première ligne : Urie trouve effectivement la mort et David épouse Bethsabée, sitôt son deuil passé.

 

Coupable d’un viol, d’un adultère et d’un crime, David est confronté à la colère de Dieu qui lui dépêche le prophète Nathan. Habilement, Nathan transpose le geste de David en une fable mettant en scène un riche éleveur spoliant un pauvre homme de l’unique brebis qu’il possédait et chérissait. L’ancien berger qu’est le roi David s’indigne de ce récit avant de comprendre qu’il s’agit de lui : il se repent et entend la sanction divine révélée par Nathan : l’enfant à venir mourra au septième jour de sa naissance. Un autre enfant naîtra – il s’agit de Salomon – et Bethsabée sera une reine-mère fort active (1Rois 11-31) parmi d’autres épouses et concubines du roi David.

 

Une héroïne muette

 

Dans toute cette histoire, une seule parole est prêtée à Bethsabée. C’est le « Je suis enceinte » (2 Sam 11.8) adressé à David après sa nuit forcée. Sinon, dans ce drame, Bethsabée est une héroïne muette, dont la vie ne transparaît que dans des paroles d’hommes.

 

Pour David, Bethsabée est une proie légitimée par sa toute-puissance royale ; dans sa polygamie, elle n’est ni la première et ni la dernière, même si son statut de mère de Salomon lui vaudra d’incontestables privilèges. Cela a-t-il compensé, voire effacé, pour elle l’abus initial ?

 

Urie est dépeint avant tout comme un officier servant son roi, à qui il doit beaucoup compte tenu de son origine étrangère : il est hittite donc né hors d’Israël. Pourtant il tient tête à David en refusant cette permission. Est-ce par un respect poussé de la discipline militaire et un refus de tout favoritisme ? Ou s’est-il douté de la véritable intention du roi, sachant que son épouse est une femme fort séduisante? Pour autant, il ne va pas vers elle en mari aimant, préférant défendre seul son honneur avec une constance qui lui coûtera la vie et fera de Bethsabée une veuve qui le pleurera (2 Sam 11.26).

 

Une victime innocente

 

Dans son apologue, Nathan transpose Bethsabée en victime innocente – une agnelle sacrifiée -, loin du soupçon de séduction qu’ont pu induire les représentations picturales postérieures de cette histoire. Mais il accuse le roi David d’avoir pris la femme de son officier et d’être avant tout un assassin. Et la sentence qu’il prononce au nom de Dieu comprend, outre la mort de l’enfant adultérin, une autre sanction : les femmes ou les concubines de David seront livrées à un de ses proches (2 Sam 12.11), ce sera son fils Absalon qui humiliera ainsi son père. Nathan ne remet pas un instant en cause le mariage « réparateur » de David avec Bethsabée, selon la coutume encore actuelle au Moyen-Orient qui permet ainsi à un violeur d’effacer sa faute. La vision de la justice divine dans cette histoire ne brille pas par la compassion envers les femmes, dont le destin sert avant tout à dénoncer et à punir les errements d’un homme grisé par le pouvoir, au point d’être infidèle à Dieu.

 

Paroles d’hommes, vie de femmes : ce récit biblique avec ses questions et ses ambiguïtés est-il si différent de la violence masculine qui s’exerce sur les femmes d’aujourd’hui ? Here-too1 à Jérusalem…

 

1  Here-too : ici aussi en français

 

* D’après le parcours proposé par Théovie Des femmes de la Bible

 

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