Par Christian Le Renard, Église protestante unie de Rennes
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Le pasteur Paul Collet est nommé à Rennes en 1897. Il était « bachelier ès lettres » comme on le disait à l’époque. Auparavant, il avait été pasteur pendant quatre ans à Saint-Géniès-de-Malgoirès, dans le Gard, entre Nîmes et Alès ; une paroisse rurale de tradition libérale. Le Conseil presbytéral accepta sa nomination le 6 juin 1897. C’est pendant son ministère qu’est construit le temple actuel, officiellement inauguré en 1882.
Son dossier personnel, conservé aux Archives Nationales, atteste « d’un grand sérieux. Les antécédents de Monsieur Collet sont irréprochables. Sa conduite, privée et publique, est à l’abri de toute critique. Il professe des opinions républicaines » répondit le préfet du Gard au ministre des cultes, le 27 juillet 1897 (citation empruntée à l’ouvrage de Jean-Yves Carluer : Protestants et Bretons).
Un procès délocalisé à Rennes
En 1897, la France est déchirée par l’affaire Dreyfus : on pourra rafraîchir ses souvenirs scolaires en allant visiter aux Champs libres (musée de Bretagne à Rennes) l’exposition permanente abondamment illustrée d’images, de films et de lettres qui lui est consacrée. Le capitaine Dreyfus avait été injustement condamné pour trahison en 1894, uniquement à cause de ses origines juives, et déporté en Guyane. Un comité de soutien où figuraient Émile Zola et des notabilités protestantes comme le sénateur alsacien Scheurer-Kaestner réussit à obtenir un premier procès en révision, que le gouvernement délocalisa à Rennes, ville qui avait la réputation d’être calme.
La petite communauté protestante de Bretagne avait généralement pris le parti de Dreyfus, notamment à Rennes ; Paul Collet est un des membres fondateurs de la section rennaise de la Ligue des Droits de l’Homme, avec deux de ses paroissiens, Vignols et Schoeffer, en janvier 1899 (La Bretagne et l’affaire Dreyfus, de Jean Guiffan, éditions Terre de Brume 1999). Pour autant les protestants ont une manifestation modérée, qui sonne aussi comme un appel à la raison.
Un accueil chez les protestants
Pendant le second procès Dreyfus, son épouse, Lucie Dreyfus, qui n’était pas parvenue à se loger à Rennes dans un hôtel, ou même en louant une maison, fut accueillie, à la demande du pasteur*, par une protestante de la ville, Madame Godard**, qui se trouvait être la doyenne de l’Église réformée de Rennes. Victor Basch, philosophe et ami très proche du capitaine Dreyfus, relate que le pasteur Collet a fourni également à Madame Dreyfus une aide-ménagère membre de la paroisse (rapporté par André Encrevé dans Les protestants et la vie politique française de la révolution à nos jours, éditions du CNRS 2020). Au même moment, les partisans de Dreyfus se réunissaient discrètement à distance du centre-ville, rue d’Antrain, à l’auberge Lecocq-Gadby, où se trouve une plaque pour le commémorer.
La suite appartient à la grande histoire : la condamnation réitérée de Dreyfus le 9 septembre 1899, a été suivie immédiatement par la grâce signée par le président de la république, Émile Loubet, le 19 septembre 1899.
Un soutien risqué
Encore un mot à propos de Paul Collet : un tel soutien de la part du pasteur n’était pas sans risque. L’avocat de Dreyfus, maître Labori, échappa de peu à la mort lors d’un attentat fomenté par les « anti-Dreyfusards ».
Le pasteur Collet ne resta pas longtemps en poste à Rennes. Le 13 octobre 1889, il informa le consistoire, « qu’il se voyait contraint, par des raisons familiales impérieuses, de se démettre de ses fonctions de pasteur de la paroisse de Rennes et de se séparer d’un troupeau auquel il était si sincèrement attaché » (cité par Jean-Yves Carluer).
Il est nommé pasteur à Toulon par un décret du 20 janvier 1900.
* Lettres de Paul Collet : on trouvera en annexe deux lettres du pasteur Paul Collet, l’une est adressée à l’épouse du capitaine Dreyfus, pour l’informer des dispositions qui ont été prises pour l’héberger, et l’autre est adressée au capitaine Dreyfus pour lui indiquer ce qui a été prévu pour accueillir sa femme à Rennes.
** La maison de Monsieur et Madame Godard (surnommée « Villa Godard ») était située au numéro 25 de la rue de Châtillon en face de l’actuelle prison des femmes (photos d’illustration de cet article). Le bâtiment moderne en place aujourd’hui est une propriété de la SNCF servant de foyer de découche aux personnels roulants de l’entreprise.
Note de l’auteur : C’est en visitant l’exposition sur Dreyfus aux Champs Libres à Rennes que je me suis étonné de voir exposées, parmi les lettres de soutien envoyées à la famille d’Alfred Dreyfus, certaines qui portaient la signature de mon arrière grand-père, Gustave Schrumpf. Il était médecin à Wesserling et nous pensons qu’il envoyait ces courriers un peu comme on envoie aujourd’hui des courriers de soutien à des prisonniers à travers l’ACAT.