Recommencer et faire confiance

Sur le chemin d’Emmaüs, Jésus apparaît à des disciples qui ne le reconnaissent qu’au moment de la fraction du pain (Luc 24). Plus tard, alors qu’ils partagent la nouvelle avec d’autres, Jésus leur apparaît de nouveau et ils ne le reconnaissent toujours pas. L’aveuglement humain semble venir d’ailleurs.

Grain de sable

Luc 24.35-48,

La foi des disciples ne suffit pas

 

© Robert Cheaib -Pixabay

 

Par David Steinwell, Paroles protestantes Paris

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Comment se fait-il que la résurrection ne se voie pas et qu’on ne puisse reconnaître le ressuscité ? Il faut bien avouer que l’apparition de Jésus aux disciples sur le chemin d’Emmaüs puis sur la route de Jérusalem a de quoi étonner : à chaque fois, nul ne reconnaît Jésus sans signe symbolique qui force presque l’esprit à se remettre en route.

 

Personne ne se sent aveugle

 

Si le texte signale lors de la première apparition que « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître », rien n’est dit pour la seconde. Ce qui incite à se poser la question : sont-ce bien les yeux qui sont empêchés ou bien la nature humaine qui ne peut franchir les obstacles de ses aveuglements ?

 

Par exemple, la finale de l’évangile de Marc au début du chapitre 16 se terminait sans doute initialement sur la peur des femmes au tombeau, qui s’enfuyaient sans propager la nouvelle : aveuglement devant l’impossible. L’aveuglement humain a ceci de particulier qu’il ne se voit pas de l’intérieur ; nul ne peut donc en parler pour lui-même. Le sens de l’événement est forcément apporté de l’extérieur par une personne dont le regard est décalé ou par un événement qui fait sens dans la mémoire personnelle, comme la Cène. Pour Luc, cet élément symbolique est le repas partagé, le fait de manger ensemble avec un visiteur ou un être de rencontre. Même l’enseignement des Écritures et la catéchèse ne suffisent pas à franchir le cœur et la mémoire des disciples.

 

Le repas de l’intime

 

On dit souvent qu’il y a plus de repas que de prières dans la Bible. C’est que la nourriture est essentielle ; manger est un des seuls actes où l’on fasse entrer quelque chose en soi, qui se transforme ensuite en donnant de la force. C’est par essence un geste de l’intime, qui vient nourrir l’intériorité. À ce titre, il est proche de la spiritualité, dont l’exercice nourrit l’être intérieur et le grandit.

 

Il n’est donc pas étonnant qu’Abraham accueille les anges par un repas, que Jésus parle de sa mission au cours d’un repas, qu’Adam et Ève consomment un fruit, que le prophète Ézéchiel mange les rouleaux de la Parole, qu’Isaac troque un droit d’aînesse contre un plat de lentilles, par exemple. Concernant les disciples d’Emmaüs ou de la route de Jérusalem, le repas ouvre la possibilité de discerner la résurrection. Accompagné d’une parole, il fait passer le regard d’une simple vision constatée à un discernement.

 

Tous les aveuglements peuvent être dépassés

 

Que les disciples soient empêchés de reconnaître la réalité qui leur est proposée, cela relève donc d’un enfermement personnel ; l’être humain ne peut intégrer ce qui lui est trop éloigné. Mais ce passage de Luc 24 indique aussi combien il est possible de dépasser les plus fortes craintes, les enfermements les plus profonds, les systèmes de pensées qui aboutissent à des impasses.

 

Il est pour cela nécessaire d’atteindre le cœur de l’intimité humaine, là où se joue la capacité à susciter quelque chose de nouveau, à re-susciter. Et cela ne se programme pas, ne se décrète pas. Seule est possible la présence auprès de celui qui ne distingue plus la vie. C’est d’ailleurs ce que Jésus fait, il se tient avec eux, ces disciples qui ne discernent pas.

 

Et bien qu’il intervienne dans leur groupe, ce sont eux qui tout à coup le reconnaissent. Le franchissement de l’obstacle intérieur vient du dedans d’eux-mêmes, pas de l’extérieur. La meilleure manière d’accompagner l’enfermement de nos proches semble être le compagnonnage et le partage du pain. Par eux se dit une parole qui, ingérée, peut changer et re-susciter l’espérance et le discernement. La foi ne suffit pas ; tout est toujours à recommencer. Avec confiance.

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