Témoigner, c’est oser la rencontre 

Caroline Schrumpf est pasteure de l’Église protestante unie à Laval. Sa mission se partage entre la paroisse de Laval (poste paroissial) et le témoignage auprès de ceux qui ne connaissent pas l'Évangile (poste missionnaire). Elle nous parle de son expérience.

Entretien avec Caroline Schrumpf

Concert-peinture à Laval © DR

 

  

Claudie de Turckheim, membre du comité de rédaction du Protestant de l’Ouest

 

 

 

Claudie de Turckheim : Des projets d’évangélisation fleurissent un peu partout dans notre Région : « mission », « évangélisation » sont des mots nouveaux pour notre Église qui peuvent faire un peu peur…

 

Caroline Schrumpf : Ce sont des mots piégés dans notre langage et dans notre Église parce qu’ils véhiculent des éléments que l’on n’a pas forcément envie de transmettre. Le mot évangéliser renvoie à une manière un peu agressive d’annoncer l’Évangile, dans le sens d’être un peu trop volontariste, ou un peu trop marketing, comme si on avait un produit à placer. Il nous faut nous approprier notre propre manière d’évangéliser, avec notre vocabulaire à nous, accessible et compréhensible par tous ceux qui ne sont pas dans nos Églises. C’est pour cela que je préfère le mot témoignage. Il renvoie à un autre, à la parole d’un Autre, à un événement qui nous est extérieur. Cela nous met dans une certaine humilité.

 

 

CdT : Y a-t-il une démarche d’évangélisation à privilégier ?

 

CS : Il y a mille et une manières d’évangéliser, mais je dirais qu’il y a deux directions à prendre : évangéliser vers l’extérieur et évangéliser en interne. Car on a aussi à évangéliser dans nos propres paroisses. La semaine dernière, une personne me racontait qu’elle était née dans une famille chrétienne, avait toujours été dans l’Église et que donc elle avait la foi. Mais à un moment, elle a fait une rencontre avec Jésus-Christ. Et ça a tout changé. Avant elle avait une foi en deux dimensions : hauteur et largeur, et soudain sa foi en acquérait une troisième : la profondeur. Pour moi, la foi vivante et vécue est cette relation au Christ qui est centrale, plus que notre relation à l’Église. Nous avons un témoignage à vivre dans nos Églises.

 

CdT : Pourquoi évangéliser ? Ne suffit-il pas d’avoir une foi sincère ?

 

CS : D’abord parce que Jésus nous le demande. Et aussi parce que c’est un trésor que j’ai reçu. Et ce trésor, je ne peux pas le garder pour moi. J’ai envie que d’autres découvrent aussi ce trésor. Il y a plein de manières de le dire. Je discutais hier avec un nouveau membre de notre Église qui n’avait pas compris que la résurrection, ce n’est pas seulement une espérance pour après la mort, c’est d’abord une espérance pour la vie avant la mort. Et ça c’est un trésor. Voilà une des manières de le dire.

Témoigner de Jésus-Christ, c’est essayer de rejoindre les personnes que nous rencontrons : celles qui sont angoissées par le changement climatique, celles qui sont terrifiées de l’avenir à cause des guerres, celles qui sont désespérées, celles qui sont malades. C’est comme si on marchait dans un espace où il y a plein de gens en train de pleurer, de souffrir, de se noyer. Ne pas témoigner, ce serait comme marcher au milieu d’eux et ne rien faire. C’est de la non-assistance à personne en danger.

CdT : Comment évangéliser aujourd’hui ? par quels moyens ? est-ce que cela s’apprend ?

 

CS : On peut évangéliser partout, tout le temps et de toute manière, explicite ou non.

Il n’y a pas de méthode, mais une attitude intérieure pour aimer et témoigner de notre espérance, de l’amour de Jésus. Plus qu’une question de compétences, c’est une prise de conscience. La première formation, c’est de réfléchir pour soi-même et avec d’autres à son témoignage. Comment puis-je témoigner de ma rencontre avec le Christ en disant « je » ? Le risque est de penser que c’est réservé aux pasteurs. Or, les pasteurs sont là pour aider toute l’Église à devenir missionnaire.

Un des moyens est de s’impliquer dans la vie du lieu où l’on est, de s’engager dans des associations, d’être présent dans les manifestations publiques comme les journées du patrimoine, la fête de la musique, la fête des voisins. Mais le risque, c’est l’enfouissement c’est-à-dire être présent dans la vie sociale mais sans oser une parole qui témoigne. Par exemple ne pas oser dire à une personne qui se confie que l’on va prier pour elle…

Le témoignage, c’est une ligne de crête entre ne pas être complètement silencieux et ne pas soûler les gens en leur disant tous les quatre matins « Jésus t’aime ».

 

CdT : La communauté, c’est important pour y vivre sa foi. Quelle est l’Église idéale ?

 

CS  : Il y a de la place pour tout, en fait. À Lausanne, l’Église réformée évangélique du canton de Vaud a lancé une Église gospel. Ce type d’Église peut être une porte d’entrée pour certains, qui vont vivre une rencontre avec le Christ, et vont ensuite évoluer vers une autre forme d’Église, ou pas. Les grandes Églises sont des portes d’entrée, mais ensuite les personnes doivent trouver une communauté, un petit groupe, par exemple au parcours Alpha, ou avec les animateurs caté. Ça peut être aussi des groupes qui cheminent un temps ensemble. La foi se vit au quotidien, et pas seulement le dimanche au culte.

 

 

CdT : Comment encourager les Églises à être accueillantes ?

 

CS : Des personnes viennent au culte une fois et ne reviennent pas. Peut-être cherchent-elles autre chose, ou alors nous n’arrivons pas à les rejoindre ? En fait, cela peut être les deux. Vous connaissez la phrase de Dietrich Bonhoeffer : « L’Église est là pour ceux qui n’y sont pas ». C’est très compliqué à mettre en œuvre, mais c’est bien ce vers quoi l’on doit tendre. On est souvent focalisé sur ce qu’on a l’habitude de faire. Peut-être faut-il essayer d’inventer. En demandant par exemple à tous les paroissiens, nouveaux ou anciens, quels sont leurs talents, leurs envies. On ne les sollicite pas assez. Oui, il faut s’autoriser à explorer des chemins nouveaux.

 

Par exemple, à Laval, il n’y avait plus de catéchèse. Alors nous avons essayé les cultes familles. Des familles différentes, des enfants d’âges et de cultures différentes… Chacun y est actif et reçoit quelque chose. Mon objectif, c’est que les enfants se sentent aimés dans l’Église, qu’ils passent un moment joyeux, en se disant, « Ici, c’est un lieu pour nous. On a le droit de parler, bouger, chanter, sauter... » Il y a quinze jours, pour notre culte famille, nous étions trente-deux adultes et seize enfants. C’était un peu le bazar, certes ! Et les enfants ont sauté partout. ll y avait des petits, des grands. J’ai un panier avec des instruments de musique que chacun peut prendre. Ils ont fait un vacarme pas possible avec les maracas. Mais quelle joie !

Il y a d’autres initiatives possibles :  un centre aéré paroissial le mercredi, une exposition d’artistes, un culte rando ou à vélo, un espace café ou coworking, un atelier de couture solidaire, un groupe d’alphabétisation…  L’important, c’est qu’on y participe, ce n’est pas juste prêter nos locaux, on y est, avec eux.

 

Il faut se poser la question : comment peut-on être en bénédiction pour la ville ou le quartier dans lequel on est, avec nos outils et nos ressources ?

 

Culte de Pentecôte 2023 © DR

Café à Noël © DR

Atelier de couture solidaire © DR

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