Un jour fille

Un film de Jean-Claude Monod, avec Marie Toscan, Iris Bry, Thomas Scimeca, 1h33, drame, historique.

Le film qui m’a plu

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Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet

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Ce film est tiré d’un fait réel dramatique qui s’est déroulé au XVIIIe siècle : le procès d’Anne Grandjean, personne « hermaphrodite ». Selon un texte de l’époque : « À peine parvenue à sa quatorzième année, un instinct de plaisir la rapprochait sans cesse de ses compagnes ; la préférence des hommes, au contraire, la rendait froide et tranquille. La Grandjean, par le conseil de son confesseur, et du consentement de son père, quitta les habits de fille pour prendre les habits d’homme. Elle épousa même en 1761 Françoise Lambert, le mariage étant précédé de trois publications de bans, et célébré avec les formalités ordinaires ».

 

Une vie difficile

 

Le film commence avec l’arrivée d’une religieuse dans une famille villageoise. Elle vient raccompagner Anne (Marie Toscan) à ses parents. « Nous ne pouvons pas la garder ! » dit-elle. « Pourquoi ? » demande la maman (Isid Le Besco). « Vous savez bien... ». La maman espérait que l’enfant en grandissant correspondrait au sexe féminin qui lui avait été assigné par défaut à la naissance. Elle pense que la prière peut changer les choses… Elle finit même par croire sa « fille » possédée et consulte le prêtre de la paroisse (André Marcon). Cet homme raisonnable comprend que le diable n’est pour rien dans l’histoire. Il cherche une solution pour que cette adolescente puisse mener une vie qui lui corresponde. Puisqu’ Anne est attirée par les filles, il vaut mieux faire d’elle un garçon, dit-il au père de celle-ci. Il est donc convenable qu’elle change d’habit.

 

Les parents comprennent que cela ne va pas être facile pour leur enfant. Que vont dire les gens dans la petite ville ? Mais le prêtre dit qu’il expliquera la situation à ses fidèles et qu’il soutiendra la famille. Et Jean Grandjean, père aimant (Yannick Renier), résolument solidaire avec son enfant devenu maintenant Jean-Baptiste, traverse la petite ville la tête haute en compagnie de son « fils », saluant les uns et les autres. Malgré cela, les moqueries et provocations rendent la vie difficile à Jean-Baptiste, il préfère partir tenter de vivre là où l’on ne le connaîtra pas. Après diverses rencontres parfois embarrassantes, et d’autres fois sympathiques (une troupe de comédiens), il trouve de l’embauche chez un brave tailleur qui travaille avec sa fille, Mathilde (Iris Bry). Bientôt l’amour naît entre cette dernière et Jean-Baptiste. Le mariage a lieu et le couple vit plusieurs années heureuses, ils s’entendent dans le travail et tout autant dans l’intimité. Leur vie sexuelle les satisfait tous deux. Mais voilà, une femme aux avances de laquelle Jean-Baptiste autrefois n’avait pas répondu, découvre qu’il est marié ! Pour se venger, elle le dénonce. Là commence le calvaire de Jean-Baptiste, jeté en prison pour « immoralité » et pour avoir « profané le sacrement du mariage ». Il devient une bête curieuse pour des aristocrates qui payent pour venir voir dans sa cellule « l’erreur », « l’animal ». Si le diable est quelque part, je dirais qu’il est dans ces êtres pervertis qui ricanent et, sans aucun respect, veulent dénuder Jean-Baptiste.

 

Une histoire touchante

 

Nous sommes pourtant au siècle des Lumières. De quoi Jean-Baptiste, qui n’a fait que suivre le conseil de son confesseur, est-il coupable ? Qu’a fait de mal ce jeune couple apprécié de tous dans la ville ? demande l’avocat (Thibault de Montalembert) qui défend Jean-Baptiste.

 

Cette histoire touchante est jouée avec sensibilité et délicatesse par les acteurs. Elle nous pose aujourd’hui encore bien des questions. Il ne s’agit pas d’une revendication d’identité de genre, de la part d’une personne qui ne présenterait aucune anomalie physiologique. (Comme disait un jour une personne sur RCF Anjou, expliquant ce qu’était à ses yeux ce type de revendication lorsque le sexe de la personne ne présentait aucune anomalie : « Et bien vous voyez cette chaise, c’est sans contredit une chaise. Mais la vérité c’est que c’est un autobus, vous devez le croire puisque je vous le dis ! ») C’est au contraire une personne qui ne demande qu’à rester dans le genre où elle se trouve vraie. L’existence de personnes intersexes est évidemment troublante. Comment assigner un genre plutôt qu’un autre, à une personne dont les caractères sexuels ne la désignent pas comme d’un sexe plutôt que d’un autre ? Mais Jean-Baptiste apprendra que le travestissement met en péril l’ordre social et que son mariage est une atteinte à la morale… (Certains hélas le croient encore aujourd’hui). « En quoi l’habit fait-il un crime ? » demande-t-il. Il est vrai que, si aujourd’hui, chez nous, les femmes peuvent porter des vêtements masculins sans choquer qui que ce soit, en revanche on ne voit aucun homme porter au quotidien des vêtements de femme… Cela reste encore réservé au spectacle, que ce soit dans le « transformisme » : dans ce cas l’acteur travesti doit donner le change à la perfection. Ou dans le « drag » : la performance consiste alors à jouer l’expression d’un genre, en exagérant ce qui est considéré comme afférent à celui-ci (vêtement, coiffure, maquillage, expression scénique), soit dans la masculinité, et c’est le drag king, soit dans la féminité, et c’est la drag queen. (Souvenez-vous de Conchita Wurst, personnage créé en 2011 par le chanteur autrichien Thomas Neuwirth, qui remporta le concours de l’Eurovision en 2014 !).

 

Jean-Claude Monod, par deux fois, cite la phrase que Diderot met dans la bouche de Mademoiselle de l’Espinasse, dans Le rêve de d’Alembert :« L’homme n’est peut-être que le monstre de la femme ou la femme le monstre de l’homme ». (Pour Diderot, l’état normal de la nature n’est pas stable et du fait de cette instabilité, l’anormalité est… normale !) C’est l’un des comédiens qui fait connaître ce texte à Jean-Baptiste lorsque celui-ci fait un temps partie de leur troupe, et ce dernier s’en souviendra à l’heure de son procès. La plaidoirie de l’avocat de Jean-Baptiste est un clin d’œil à notre époque : « Peut-être qu’un jour il y aura une femme avocat, procureur même ! Peut-être même que le mariage entre deux femmes ne choquera plus personne… ».

 

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