El Profesor

Un film de Maria Alché et Benjamín Naishtat, avec Marcelo Subiotto, Leonardo Sbaraglia, Julieta Zylberberg, 1h51, comédie, drame.

Le film qui m’a plu

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Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet

L’Argentine fut un temps terre d’immigration pour les Européens. C’est pourquoi on y rencontre des patronymes espagnols, mais aussi italiens, français, allemands… Elle a connu au XXe siècle une suite de crises et de coups d’état qui ont contribué à déstabiliser le pays. Au moment où Maria Alché et son compagnon ont réalisé leur film, la menace d’un gouvernement fasciste est réelle. Depuis, comme l’on sait, en novembre 2023, Javier Milei, d’extrême droite, a été élu président. Les problèmes sociaux, dans ce film, jouent un rôle important. Il y a des manifestations dans les rues de Buenos Aires, l’université est fermée, les étudiants sont dans la rue… Les professeurs attendent depuis plusieurs semaines d’être payés. Marcelo (Marcelo Subio) est l’un d’eux. Il fait cours sur la voie publique, solidaire des étudiants.

 

Un duel entre deux rivaux

 

Au début du film, nous voyons un homme courir dans les allées d’un parc verdoyant. Soudain il s’effondre. C’est le professeur Eduardo Caselli, chef du département de philosophie à l’université de Puan, à Buenos Aires. Qui va assurer dans l’urgence les quatre heures de cours qu’il donnait aux étudiants ? Qui va lui succéder à ce poste prestigieux ? Il semble évident que ce soit Marcelo, son disciple, qu’il a connu tout jeune et qui était régulièrement accueilli dans son foyer, son héritier en quelque sorte. Nous voyons ce dernier en train de donner un cours sur Rousseau à propos de la question mise au concours par l’Académie de Dijon en 1749 : Le rétablissement de la science et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ?

 

Mais le jour où toute la section de philosophie est réunie pour rendre hommage au professeur Caselli décédé, le fidèle Marcelo, trop ému pour rendre hommage à son professeur, ne fait aucun discours, contrairement à ce que tous attendent. Or, arrivé de Francfort où il enseigne depuis plusieurs années, le séduisant Rafael Sujarchuk (Leonardo Sbaraglia) n’hésite pas à s’exprimer et à faire son intéressant en citant Kant dans le texte allemand. C’est tout à fait déplacé en ce jour, d’ailleurs il connaissait peu Caselli. Mais il compte bien avoir le poste qui devrait revenir à Marcelo… Une sorte de duel s’engage où Marcelo, professeur compétent mais sans envergure, qui peut-être se voit vieux (c’est le prof au crâne dégarni, dit-on de moi !) apparaît comme un perdant, face à cet homme brillant, au brushing dans le vent et qui a les dents longues. Le bruit court que ce dernier est fiancé à une actrice… des étudiantes veulent faire des selfies avec lui. De plus, cynique, il compte retourner en Europe où il est payé en euros, (eh oui, c’est mieux ! car le peso argentin se porte très mal), laissant les autres assurer le travail, le poste serait pour lui un simple titre de plus !

 

Un pays en grande difficulté

 

Pour aider à faire bouillir la marmite, Marcelo donne des cours de philosophie à une vieille bourgeoise, qui s’endort pendant qu’il explique… Pour l’anniversaire de celle-ci, il sera amené à jouer les clowns, il accepte, comme ballotté au jour le jour par ce qui advient… Dès le début, les réalisateurs lui avaient fait endosser le costume d’un personnage de farce avec un petit incident : troublé par ce qui se passait, Marcelo s’était assis sur un banc, sans voir la couche souillée qui était posée sur celui-ci, où une jeune femme était en train de changer son bébé. Imaginez la suite ! À cet instant, on ne peut s’empêcher de voir dans ce personnage une image de l’Argentine actuellement : le pays est dans la « m… », si vous me permettez cette expression. (Cela me rappelle l’épisode biblique dans lequel le prophète Jérémie se promène avec une ceinture sale et en lambeaux pour signifier au peuple l’état dans lequel ce dernier va se trouver puisque ce dernier s’est prosterné devant des idoles. Il a oublié le droit chemin, malheur à lui, il va descendre très bas. Sauf que le personnage du film est métaphorique à son corps défendant !) De même, alors qu’il est invité, à la fin du film, à parler à des gens simples pour les initier à la philosophie, en partant de leur expérience quotidienne, Marcelo leur chante un tango ! Ce genre musical est né à la fin du XIXe siècle dans les quartiers populaires de Buenos Aires, dans les « conventillos ». Le nom conventillo signifie petit couvent, habitation collective constituée d’une cour entourée de chambres où s’entassent plusieurs familles, souvent des gens de la campagne venus en ville pour trouver du travail, ou des immigrés. Les paroles du tango évoquent généralement des situations difficiles ou tristes. Celui que chante Marcelo n’échappe pas à la règle.

 

Comédie amère et film politique, El Profesor nous touche comme un avertissement.

 

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