Par Jean-Michel Zucker
Dix ans après sa disparition, la grande artiste belge Chantal Akerman, une des figures de proue du cinéma d’avant-garde, est célébrée à travers la reprise en salle de ses films et leur parution intégrale en DVD, tandis qu’au Jeu de Paume, à Paris, une exposition exceptionnelle lui est consacrée. Entre comédie de mœurs et anatomie d’une passion, Un divan à New York raconte l’histoire de Béatrice Saulnier – délicieuse et profonde Juliette Binoche –, une danseuse parisienne exubérante qui ne supporte plus ses petits amis et trouve sur annonce à échanger pour six semaines son modeste logement à Belleville contre le luxueux appartement new-yorkais d’Henry Harriston – splendide et lointain William Hurt –, un psychanalyste haut de gamme un peu maniaco-dépressif qui ne supporte plus ses patients.
Ils ont un caractère diamétralement opposé et ne se connaissent pas, mais chacun va devoir s’adapter à sa nouvelle vie, cependant que, dans un montage en contrepoint, des quiproquos s’enchaînent de part et d’autre car aucun d’eux n’est à sa place. Harry se voit bientôt contraint, dans le joyeux désordre de la mansarde de Béatrice, d’affronter le défilé de ses amants surexcités qui voient en lui un rival, tandis que Béatrice, éblouie par la somptueuse suite de Henry, se fait envahir par ses riches patients névrosés qu’elle écoute et conseille si bien qu’ils ne peuvent plus se passer d’elle, et ses mésaventures en tant que psychanalyste involontaire sont aussi savoureuses qu’hilarantes ! Malgré tout ce qui les sépare, Elle et Lui finissent par tomber amoureux de l’image que chacun se fait de l’autre.
C’est alors qu’à la faveur d’un coup de théâtre – le retour anticipé et incognito de Henry chez lui –, les sentiments vont se bousculer et les événements se précipiter, avec la poursuite débridée dans Central Park de l’adorable chien blanc du psychanalyste que la danseuse a apprivoisé, et un délicieux happy end à Belleville que le spectateur découvrira avec bonheur. Cette fantaisie romantique, si séduisante et si drôle, où se croise le cinéma de la Mitteleuropa et de la comédie hollywoodienne à la Lubitsch, Wilder ou Allen, permet à la cinéaste de lâcher deux personnages dans un milieu totalement différent du leur et de raconter leur réconciliation avec eux-mêmes puis avec les autres.