Jésus n’a jamais ri

Le sourire s’offre partout dans notre société, du moins dans la façon que nous avons de nous présenter et de nous mettre en scène, parfois un peu niaisement, il nous faut nous l’avouer. L’expression « le sourire Colgate » dit bien l’aspect artificiel de la chose.

Grain de sable

 

Par Yvan Bourquin

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Si le rire est le propre de l’homme, selon Rabelais qui s’inspire d’Aristote, le « sous-rire » n’est qu’un petit rire, une version démonétisée. Le rire rabelaisien est viscéral et explosif ; le sourire quant à lui est convenable et modéré. D’ailleurs, la règle dans l’art occidental, jusque dans les photographies du début du XXe siècle, est la bouche close qui, au mieux, peut se risquer à esquisser un timide sourire (pensons à l’énigmatique sourire de la Joconde).

 

Le refus de la grossièreté

 

Garder le cap de l’espérance malgré la tempête… © Mbzt

Dignité et gravité sont, depuis l’Antiquité, de rigueur et il n’y a que le petit peuple, les enfants et les fous qui rient à gorge déployée, s’exposant à montrer leurs dents, ce qui transgresse les règles de la bienséance. On avance habituellement des raisons pratiques pour expliquer cette coutume : l’hygiène buccale de nos ancêtres était un peu plus que négligée et il n’était pas question d’arborer un sourire édenté. L’explication est trop courte : c’est d’abord la condamnation du rire sans retenue, qui déforme le visage et le rend ridicule, c’est le refus de la grossièreté des mœurs populaires qui justifie cette attitude d’une impeccable maîtrise de soi. Le rire immodéré transforme les hommes en bêtes.

 

Le rire est associé durant des siècles au mépris et à la réprobation ; la dimension joyeuse du rire se double plus souvent qu’à son tour d’une connotation haineuse. Le rire est de l’ordre de la dérision : c’est vrai du rire de Sarah en Genèse 18 jusqu’au rire de l’Éternel qui se moque de ses adversaires dans le psaume 2. Le rire, dans la comédie, s’exerce contre tous ceux auxquels on ne veut pas ressembler : c’est un moyen de se purifier des tendances vicieuses qui accompagnent de façon tenace l’humanité. Le rire tient donc durant des siècles de la grosse et lourde farce ou de l’acerbe moquerie ; il est ce « rire dental » que décrit Albert Cohen dans son roman largement autobiographique Ô vous, frères humains.

 

Un sourire digne et contrôlé

 

L’Ange au Sourire de la cathédrale de Reims nous ouvre bien heureusement à une autre dimension : son sourire digne, contrôlé, quai aérien nous invite à entrer dans la sphère de l’humour qui n’a rien à voir ni avec la grosse rigolade, ni avec la moquerie cruelle : il permet au contraire une prise de distance enjouée avec une réalité lourde et pesante. L’Ange au Sourire accompagne un martyr et cet Ange s’est trouvé lui-même décapité par les bombardements de la Première Guerre mondiale : ironie du sort…

 

Comment ne pas retrouver dans ce sourire toute l’attitude de Jésus qui conduit ses interlocuteurs à ne pas se laisser engluer dans leur situation qui leur colle aux chaussures et qui alourdit leur marche ? Ce sont autant de phrases douces et souriantes, mais jamais mièvres, qui tombent de sa bouche : « Les enfants de ce siècle sont plus avisés que les enfants de lumière… » (Luc 16.8), « si donc méchants comme vous l’êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants… » (Matthieu 7.11), « le royaume de Dieu est annoncé, et chacun use de violence pour y entrer… » (Luc 16. 16) Et que dire des Béatitudes ?

 

L’Ange au Sourire est bien cet ange de l’Éternel, qui au gré de cette pédagogie qui ne se départit ni de sa fermeté ni de son énigmatique sourire nous susurre « Fais-tu bien de t’irriter ? » (Jonas 4.4). À chacun de trouver le sens de ce sourire tout en délicatesse qui repose sur son parcours de vie.

 

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