Par Pierre-Adrien Dumas, pasteur
« Avant l’imprimerie, la Réforme n’eut été qu’un schisme, l’imprimerie la fait révolution.
Ôtez la presse, l’hérésie est énervée. Que ce soit fatal ou providentiel, Gutenberg est le précurseur de Luther. »
Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris, 1831
Luther en premier lieu a bénéficié de la rapidité et de la popularité de cette nouvelle technologie de son temps. Ses Quatre-vingt-quinze thèses étaient à peine placardées sur la porte de l’église de Wittenberg que déjà elles inondaient l’Europe, du Vatican jusqu’aux foires et marchés.
Création des caractères romains
En France, deux grands noms de l’imprimerie, aux parcours de vies entrelacés, se rallièrent aux idées nouvelles et permirent l’édition des livres réformateurs : le typographe Claude Garamond et l’imprimeur Robert Estienne.
Le premier, né à Paris vers 1499, fait son apprentissage chez Augereau, typographe rue Saint-Jacques, le quartier des imprimeurs. Son maître est un des premiers à distinguer la typographie de l’imprimerie. En effet, avant lui, les imprimeurs fondaient eux-mêmes leurs caractères de plomb. C’est dans cet atelier, et grâce à une commande de Robert Estienne, que Garamond crée ses fameux caractères romains. Leur qualité est reconnue dans toute l’Europe de par leur clarté et leur simplicité ; ils finissent par supplanter les traditionnels caractères gothiques.
En 1536, Augereau est exécuté pour hérésie, Garamond rejoint l’atelier du Soleil d’or, une des imprimeries les plus importantes de Paris. Dans cette nouvelle maison, il reçoit une commande pour l’édition des œuvres de Xénophon. Pendant une dizaine d’années, il met au point ses caractères grecs qui feront sa renommée. Ces « grecs du roy » tiennent leur nom du fait que ces caractères, très esthétiques mais complexes dans leur réalisation, sont réservés aux imprimeurs royaux.
Une protection royale
L’un d’eux, peut-être le plus fameux, s’appelle Robert Estienne. Né en 1503 à Paris dans une famille d’imprimeurs, il édite dès 1527 de très belles éditions des œuvres classiques et de la Bible.
Ses éditions les plus célèbres sont les œuvres de Cicéron et Plaute, de certains Pères de l’Église (Eusèbe de Césarée), ses bibles hébraïques et surtout son Nouveau Testament grec de 1550 qui est considéré comme l’un des plus beaux livres imprimés en grec avec les caractères de Garamond. Il est lui-même l’auteur d’un fameux dictionnaire français-latin. Sa renommée le fit nommer en 1539 imprimeur du roi pour l’hébreu et le latin.
Parce qu’il adhérait à la Réforme, les théologiens de la Sorbonne le dénoncèrent à François Ier, qui le protégea jusqu’à sa mort. Parmi les accusations portées contre l’imprimeur : avoir édité une bible en 1545 avec des notes de François Vatable, ancien partisan du Cénacle de Meaux.
Lorsque Henri II monte sur le trône, Estienne ne se sent plus en sécurité et rejoint Genève en 1552 où il embrasse publiquement la Réforme. Il y publie par exemple, sous sa marque célèbre de l’olivier, un Nouveau Testament en français ainsi que l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, puis les ouvrages de Théodore de Bèze.
Estienne meurt à Genève en 1559, Garamond à Paris en 1561. Pourtant leurs postérités sont grandes. De Robert Estienne, nous pouvons retenir le découpage en versets du Nouveau Testament en 1553, qui est encore de nos jours celui de toutes les bibles chrétiennes. De Garamond, cette élégante police de caractère, longtemps supplantée par la police Didot, et qui a été remise au goût du jour au siècle dernier notamment par La Pléiade.
Ensemble, ils ont participé à cette épopée de l’imprimerie au xvie siècle qui a bouleversé le cours de l’histoire et des idées, et qui faisait dire à Victor Hugo qu’elle a fait de la Réforme une révolution.