Le film qui m’a plu
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Par Roseline Cayla, Église protestante unie d’Angers-Cholet
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La plus précieuse des marchandises, avant d’être un beau film d’animation, est un conte de Jean-Claude Grumberg paru une première fois en 2019 aux éditions du Seuil puis réédité avec les dessins de Michel Hazanavicius avant la réalisation du film qu’il a adapté.
Le texte de Grumbert y est exactement cité, la voix de Jean-Louis Trintignant raconte. Les dessins, au trait précis, évoquent des gravures sur lino. Les couleurs en demi-teinte créent une atmosphère poétique, on se sent « protégé » malgré l’époque obscure.
Un présent des dieux
L’histoire est en effet présentée comme un conte classique. La première page, encadrée d’une sorte de frise, rappelle ces cartes de Noël d’autrefois avec un paysage enneigé… « Il était une fois un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne… » Ce conte, qui n’en est pas vraiment un, évoque allusivement la Shoah sans que le mot soit prononcé. Un train de marchandises traverse quotidiennement cette forêt polonaise où une équipe de bûcherons est au travail. Cependant ce train ne transporte pas des marchandises mais des personnes conduites vers un camp de la mort. Un bébé est jeté du train par son père qui a aperçu entre deux planches une silhouette de femme sur la neige. C’est la bûcheronne qui, bientôt, attirée par les pleurs de l’enfant, va le prendre et l’emporter jusqu’à sa maisonnette comme « un présent des dieux de la forêt et du train ». « Pauvre bûcheronne » (la voix de Dominique Blanc) est toute bonté et se réjouit de chérir ce petit être. « Pauvre bûcheron » (la voix de Grégory Gadebois) est une sorte d’ogre qui n’a que faire de cette bouche de plus à nourrir. De plus c’est l’enfant d’un « sans cœur » dit-il. L’enfant porte certainement « la marque » de « ces gens-là ». Il démaillote brutalement le bébé… qui est une fille ! « De quoi parles-tu ? Elle est faite tout comme moi », dit « Pauvre bûcheronne. »
Un film intemporel
Le printemps arrive, « la petite marchandise » grandit et « Pauvre bûcheron » s’y attache et découvre comme par magie (il entend partout battre un cœur…) que « les sans-cœur ont un cœur ». À la taverne, il tient tête à ses collègues de travail qui ricanent de ceux qu’ils appellent les « sans cœur ». Du coup il devient suspect. Dénoncé par l’un d’eux, le bûcheron voit arriver chez lui des miliciens qui veulent emporter l’enfant. Le bûcheron, pareil au fléau de Dieu, fracasse de sa hache les trois hommes, mais est abattu par le tir de l’un d’eux. Il crie à sa femme de s’enfuir avec la petite… Je ne vous raconterai pas la suite, je vous la laisse découvrir, car si vous n’avez pas encore vu ce film déchirant, intemporel, vous irez certainement le voir ! Au-delà des horreurs dont l’humanité est capable, il montre la solidarité humaine, il affirme que c’est l’amour qui sauve le monde. À propos de l’enfant, « ce n’est pas toi qui l’as sauvée, dira la bûcheronne invectivant son Dieu, c’est l’homme qui l’a jetée du train, « Pauvre bûcheron » qui l’a recueillie dans sa maison et l’homme bon (un ancien soldat défiguré) qui lui a procuré le lait de sa chèvre ».
Je ne sais si vous connaissez Jean-Claude Grumberg, il est né en 1939 et c’est un auteur majeur du théâtre contemporain, tant pour adultes (L’atelier en 1985) que pour la jeunesse. Mais il a aussi écrit des romans (La nuit tous les chats sont gris), des textes plus courts, des dialogues qui mettent en scène notre humanité dans ses petitesses et ses travers, et aussi des contes comme celui dont il est question ci-dessus. Son père est mort dans un camp d’extermination. Un film pudique qui donnera l’occasion d’expliquer aux adolescents cette sombre page de l’Histoire.