Femmes en Église : l’entre-deux de l’Apôtre Paul

Théovie, cycle « Femmes du Nouveau Testament

Antoine van Dyck L’apôtre Paul Musée régional de Basse-Saxe

par Jean Loignon, Église protestante unie de Loire-Atlantique

 

Paul, juif persécuteur converti devenu l’acteur majeur du premier christianisme, fut non seulement un inlassable fondateur d’églises mais encore il en suivait la croissance, répondait à leurs questions et en arbitrait les premiers conflits. Cela nous vaut les Épîtres du Nouveau Testament, certaines de sa main, d’autres postérieures écrites en son nom, l’ensemble constituant une première mise au point doctrinale de la foi chrétienne.

 

Un des intérêts des écrits de Paul est de nous plonger au cœur des débats qui pouvaient survenir, parfois sur des aspects a priori subalternes mais jugés assez importants pour justifier le recours – lointain ! – à Paul. Ici, dans cet extrait de 1 Corinthiens 11, 2-16 retenu par Théovie pour son cycle « Femmes du Nouveau Testament », il est question de cheveux, de voiles et couvre-chefs… Des détails, certes, mais capables de susciter des prescriptions et des débats traversant les millénaires.

 

Un vent de liberté
De quoi s’agit-il ? Dans l’Église de Corinthe, dynamique au point d’en être désordonnée et divisée, des femmes prient et prophétisent « en cheveux », sans voile, alors que des hommes se couvrent la tête ou portent les cheveux longs. Et cela semble contraire aux traditions que Paul se targue d’avoir transmis, même si on peut questionner l’idée de tradition pour une communauté qui a à peine dépassé les vingt ans.
Paul déploie un argumentaire varié en rappelant par une habile image ce qui est pour lui l’ordre social divin : de bas en haut, la tête de la femme, c’est l’homme, la tête de l’homme, c’est le Christ, la tête du Christ c’est Dieu.

 

On reconnaîtra immédiatement un sexisme niant à la femme une relation directe au Christ. Dans une société où les femmes sont des mineures à vie, ce propos est une évidence.
Pourtant dans l’Église de Corinthe, des femmes n’agissent pas en mineures mais en actrices de leur foi, comme dans toutes les Églises que suit Paul. Et cela ne lui pose aucun problème qu’elles prient et prophétisent en public aux côtés des hommes. En ce sens, Paul défend une avancée féministe majeure, au rebours du judaïsme ou des cultes polythéistes, où les sexes étaient séparés et où les hommes dominaient.
Mais, en tacticien habile, il préfère détourner l’attention sur des détails pratiques et concéder un rappel à l’ordre : les femmes doivent avoir la tête couverte, mais pas les hommes, les cheveux longs sont pour les femmes, les courts pour les hommes.

 

Un lecteur attentif de la Bible hébraïque pourrait rétorquer à Paul que Moïse ou Elie se voilaient avant rencontrer Dieu (Exode 3, 6b et 1 Rois 19, 13), que les prêtres devaient porter un turban (Ex 28, 4) et que les hommes consacrés à Dieu, comme Samson, arboraient une longue chevelure. Et aujourd’hui, le port de la kippa s’impose à tout homme entrant dans une synagogue… Les arguments de Paul relèvent de la convenance et d’une « nature » bien subjective : en fait, Paul prescrit de se conformer à la normalité ambiante, celle d’une société gréco-romaine, cadre désormais de la croissance des Églises chrétiennes. Il convient donc de ne pas se marginaliser par des gestes pouvant être perçus comme provocateurs.

 

Ainsi sera sauvé l’essentiel : les avancées égalitaires entre hommes et femmes. D’ailleurs, corrigeant sa métaphore initiale des têtes, il rappelle que si la femme est tirée de l’homme (selon la lecture masculine traditionnelle* de Gn 2, 22), l’homme naît d’une femme…
Paul ne cède pas à la tentation d’exclure les femmes de ces nouveaux rôles, quitte à faire acte d’autorité et in fine de refuser toute contestation. On lui pardonnera cet autoritarisme, pour créer une Église, où il n’y a plus ni juifs, ni Grecs, ni hommes libres ni esclaves, ni hommes ni femmes, mais tous unis en Jésus le Christ (Ga 3, 28).

 

*Sur ce point, je recommande vivement la conférence en ligne de la rabbine Delphine Horvilleur : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/seminaire/comment-lire-suite/la-cote-adam-et-autres-malentendus-bibliques

 

Contact