>>> Élisabeth Renaud
Vous tenez entre les mains le numéro 400 du Protestant de l’Ouest. 400 numéros et 40 années d’existence, nous ne pouvions passer à côté de cet événement. Une petite recherche dans le passé m’a informée que son existence, ou du moins l’existence d’un journal protestant dans la région, remontait bien au-delà de décembre 1975. Depuis ces temps lointains, son titre a changé, les régions ont évolué, le format aussi, la technologie a apporté son grain de sel… Mais je vous laisse découvrir la suite à la rubrique Histoire… L’anniversaire de votre mensuel coïncide avec un autre anniversaire que tous les chrétiens s’apprêtent à célébrer en ce beau mois de décembre. Deux raisons de réaliser un numéro exceptionnel. Quelques petits changements s’y sont donc glissés. À la rubrique Chez vous, nous vous offrons un joli conte de Noël où nous suivrons une ânesse sur le chemin de sa vie. Et si c’était vrai ? Le C’est quoi ? change exceptionnellement de format pour une petite explication sur les voies qu’emprunte le journal pour arriver jusqu’à vous. Et puis, la page Évangélisation laisse la place, mais juste pour ce numéro je vous rassure, à la plume de nos anciennes rédactrices en chef qui ont su faire vivre ce journal, chacune avec sa sensibilité et sa conviction. Alors, joyeux anniversaire au P.O. et joyeux Noël à tous.
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L’évangile de l’ânesse
>>> Gilles Carbonell (d’après un conte d’André Trocmé)
À Bethléem, à l’entrée du bourg, vivait un Samaritain, un brave homme. Il essayait de faire oublier tant bien que mal qu’il était samaritain, et vivait le plus possible « comme tout le monde » mais il se fiait surtout à sa famille et à ses amis. Et il se méfiait un peu des étrangers, ne sachant pas à qui il avait affaire. De plus, comme il était colporteur de métier, il ne s’attardait pas sur les routes trop tard le soir, et surtout pas seul, car comme tout le monde le sait, les routes en ce temps-là n’étaient pas sûres. Notre Samaritain avait un âne. Ou plutôt une ânesse, ce qui n’est pas sans importance pour la suite de notre histoire. Et cette ânesse, elle, n’était pas « comme tout le monde ». Elle avait l’esprit de contradiction, elle réfléchissait et ses réflexions avaient les conséquences les plus inattendues. Un soir, très tard, un homme et une femme se présentèrent à la porte de notre samaritain. C’était la veille du jour fixé par le gouverneur pour le recensement. – Ne pouvez-vous pas nous recevoir, nous venons de loin et nous sommes bien fatigués. – Impossible, gronda le samaritain, en songeant à sa chambre en désordre. Allez ailleurs, il y a des hôtels. – Nous en venons et tout est plein. Pourrions-nous nous installer ne serait-ce que dans votre grange ? – C’est une étable ! Et juste assez grande pour mon âne ! – Oh, mettez-nous à l’étable, s’exclama la jeune femme qui était enceinte, je ne ferai pas un pas de plus. Le samaritain éclaira l’étable pour montrer sa bonne foi, elle était décidément trop petite pour faire dormir deux personnes, l’ânesse tourna la tête vers la lumière et fit les yeux doux à la jeune femme. Le samaritain reprit : – Vous voyez bien, c’est impossible ! – Si vous mettiez un peu de paille sous la crèche, nous nous arrangerions. Le Samaritain, finit par céder. Il détacha l’ânesse pour la mettre à dormir à la belle étoile. Mais comme il le craignait, la bête, campée sur ses quatre pattes, les naseaux dilatés, refusa de sortir. Le samaritain était furieux. On ne peut pourtant pas faire dormir les gens sous le museau d’une bête ! Ça ne se fait pas ! Mais Marie (vous aviez reconnu Marie, n’est-ce pas…?) lui dit : – Laissez-la, je suis sûre que nous nous entendrons bien. Ils s’entendirent si bien que l’âne fut le témoin muet et patient de la naissance de Jésus. Joseph coucha le nouveau-né dans la crèche, au-dessus de Marie. Ainsi, l’haleine de la bête réchauffa l’enfant. Le gros corps de l’ânesse tiédit bien l’étable et personne ne souffrit du froid. Le lendemain, en ouvrant la porte, notre samaritain fut ébahi de voir qu’à présent les deux voyageurs étaient devenus trois. Dix jours plus tard, Marie était sur pieds et Joseph songeait à retourner à Nazareth. Mais il fut averti en rêve que la vie du petit était menacée. Il fallait fuir en Égypte. Il savait que Marie n’était pas assez forte pour marcher autant. Alors il alla frapper chez notre samaritain pour lui demander s’il voulait bien prêter son ânesse. – Mon ânesse ! Pour l’Égypte ! Et vous me la ramènerez ? Pourquoi ferais-je confiance à un étranger ? Après tout, je ne vous connais pas ! Non, c’est non ! Joseph, très inquiet se mit en route avec sa femme. Mais au bout d’un moment, un galop ! Les gardes d’Hérode ? Des brigands ? Mais non ! C’était l’ânesse. Prise d’une de ses lubies habituelles, elle avait rongé son lien et s’était échappée de l’étable. Le brave Samaritain se dit qu’il ne la reverrait jamais. Comment allait-il travailler sans son âne ? Mais six semaines plus tard, Joseph revint avec sa femme et le petit, montés sur l’ânesse. – Votre ânesse nous a sauvé la vie ! Nous avons pu rejoindre l’Égypte sans nous faire prendre. Le samaritain fut tout heureux de retrouver sa bête et aussi un peu ému de revoir la petite famille. Plusieurs années s’écoulèrent. Les scènes entre l’ânesse et le maître devenaient plus rares, non pas que la bête soit devenue plus raisonnable, mais, peu à peu, c’est son patron qui avait pris l’habitude de lui obéir. Car la folie de la bête était plus sage que le bon sens de l’homme. Un soir que le samaritain s’était attardé entre Jérusalem et Jéricho, son voyage faillit tourner au tragique. Tout le monde parlait d’une bande de brigands qui rançonnait ou tuait les voyageurs. Or la nuit tombait et le samaritain pressait son ânesse pour qu’elle rentre au plus vite à l’auberge. Soudain, la bête s’immobilisa. Plus moyen de la faire avancer. Il pensait déjà à laisser là l’animal et son chargement pour rejoindre au plus vite l’auberge, quand il entendit un gémissement. Il fût rempli de terreur. Il tira de nouveau sur le licol de l’ânesse, mais rien n’y faisait. Le gémissement venait du ravin en contrebas. Et l’ânesse restait obstinément tournée vers cette voix qui appelait. Le samaritain, pensant que peut-être son ânesse avait raison, prit sur lui et descendit voir. Là il trouva un blessé, qui serait mort si personne ne l’avait secouru. Il pansa ses plaies, l’amena dans l’auberge la plus proche et le veilla toute la nuit. Le matin, le blessé allait mieux, mais le samaritain, convaincu que c’était Dieu qui avait mis sur sa route cet homme, tira de sa bourse deux deniers qu’il remit à l’hôtelier en lui disant : prends soin de lui et ce que tu dépenseras en plus, je te le donnerai à mon retour. L’hôtelier, qui pourtant n’avait pas d’ânesse pour le conseiller, accepta en confiance et se dit que ce samaritain n’était pas « comme tout le monde ». Trente ans plus tard, le samaritain avait déménagé pour venir s’installer aux portes de Jérusalem, c’était plus commode pour ses affaires. L’ânesse était toujours vivante. Les ânes vivent parfois très vieux. Ses jambes devenaient un peu faibles, mais elle était toujours vaillante. Un peu moins originale, peut-être… Durant toute sa vie de bête, elle avait cherché, attendu quelque chose. Voilà pourquoi elle n’avait pas vécu comme tout le monde, à la manière des gens dociles qui ne cherchent rien. Or, la mort approchait et elle n’avait pas trouvé ce qu’elle espérait. Cependant, elle avait engendré un ânon. Un ânon velu et joyeux, dont elle était très fière, reconnaissant en lui le grain de folie qu’elle avait en elle. Elle se disait en elle-même, c’est lui qui trouvera ce que j’ai toujours cherché. Or, un jour que l’ânesse et l’ânon étaient attachés devant l’habitation de leur maître, deux hommes arrivèrent et mirent la main sur leurs brides pour les emmener. Le samaritain, sortant de chez lui se mit à crier : au voleur ! au voleur ! Les deux étrangers lui dirent : – Le Seigneur en a besoin. Le samaritain allait dire non, quand il se souvint d’un homme et de sa femme qui autrefois, à Bethléem, lui avaient emprunté son ânesse pour fuir en Égypte. Il fit un clin d’œil à l’ânesse, qui lui en fit un aussi, et les laissa prendre les deux animaux. C’est à l’entrée de Bethphagé que Jésus vit venir à lui l’ânesse et son ânon annoncés par le prophète. Il cueillit au bord du chemin une touffe d’herbe et l’offrit à l’ânesse. Elle flaira longtemps cette herbe et comprit que ce qu’elle cherchait était là. Les animaux, tout le monde sait cela, se représentent Dieu moins bien que nous ne pouvons le faire. La révélation qu’ils en ont : c’est leur maître. L’ânesse, avait enfin trouvé son maître et celui du samaritain. Et ce jour-là, en entrant dans Jérusalem où tout le monde acclamait Jésus, elle fût comblée de joie de voir son petit à la première place avec ce roi qu’elle avait reconnu sur son dos. Elle se dit en son cœur que décidément, Dieu n’était pas « comme tout le monde » et même, qu’il avait un peu l’esprit de contradiction !
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