Le baptême dans les années 1680 : une affaire pas si simple !

Baptême clandestin célébré dans une maison du temps des persécutions, par Jeanne Lombard © Domaine public

Dans les années 1680, de plus en plus de temples dans l’Ouest comme dans le reste du royaume sont fermés sur décision du Conseil d’État et les ministres interdits d’exercer leur charge. Cela pose problème, en particulier pour le baptême des enfants et la bénédiction des mariages.

Nicolas de Lamoignon de Basville © Domaine public

Aux Archives nationales (Paris), d’épais registres renferment les nombreux arrêts du Conseil d’État sous Louis XIV envers les réformés. L’arrêt qui retient ici notre attention est celui du 16 juin 1685 « portant règlement pour les baptêmes des enfants de ceux de la religion prétendue réformée », à cause des entraves qu’il porte à l’exercice du ministère pastoral.
Dans un premier temps, pour faire baptiser leurs enfants, les réformés se rendent aux temples voisins, de plus en plus éloignés à mesure des fermetures successives. Les actes de baptême (La Jarrie, 1684-1685 ; Saint-Martin-de-Ré, 1685 ; Chef-Boutonne, 1685 e.a.) en témoignent au travers les domiciles des parents des enfants baptisés.

Ni prêche, ni bénédiction, ni visite

Le risque que les nouveau-nés meurent au cours de ces longs trajets, dans le froid en hiver et la chaleur en été, conduit les autorités à chercher d’autres solutions. C’est alors que sur commission du roi, dans le sud de la France, dès 1683 certains intendants nomment des pasteurs pour baptiser, et baptiser seulement ! Sans pouvoir prêcher, bénir les mariages ou visiter les malades… rien ! Ils sont à choisir de préférence parmi « les plus ignorants, et les moins accrédités parmi les religionnaires », pour éviter le risque de révolte. Dans l’Ouest, l’Angoumois est la première généralité1 concernée (1684). Mais nommer des pasteurs est moins simple qu’il n’y paraît : plusieurs d’entre eux ont déjà fui le royaume, tel autre cherche à s’en soustraire en prétextant d’être au service d’un seigneur d’une autre généralité. Nommer un pasteur ne veut donc pas dire qu’il ait réellement exercé la charge qui lui est imposée.

Contraint à changer de domicile

L’arrêt du Conseil d’État du 16 juin 1685 généralise la mesure des « pasteurs nommés pour baptiser seulement » à tout le royaume. Le dispositif imaginé par l’intendant du Poitou, Nicolas Lamoignon de Basville, est cité comme modèle. Celui-ci prévoit de nommer des pasteurs dans des lieux répartis dans le Poitou (ils seront six). Pour casser le lien avec leur troupeau, on oblige les pasteurs à changer de domicile. Depuis ce nouveau domicile (et ville de baptême), ils se rendent dans un ou deux autres villes ou villages où ils pourront baptiser les enfants dans l’hôtel de ville ou un lieu de justice, selon un planning hebdomadaire préétabli, avec des créneaux horaires fixes de deux heures, en présence des parrain et marraine et deux ou trois parents seulement, sous le regard d’un officier. Au-delà le Poitou, on voit le modèle appliqué dans l’Orléanais-Berry, l’Aunis, à Nantes…

Des baptêmes sous protestation

Le dispositif suscite des débats parmi les ministres en France, et aussi ceux qui ont rejoint le Refuge : faut-il participer à cette entrave au ministère pastoral ? quelle légitimité attribuer à ces nominations, par rapport à l’autorité des Synodes ? C’est un vrai cas de conscience ! Les avis sont partagés. Benjamin de Malnoë, pasteur à Pont-Hus, nommé pour baptiser les enfants des réformés de Nantes, baptise ainsi « sous protestation », car il réclame aussi de pouvoir bénir des mariages. (Un arrêt du 15 septembre 1685 le permettra à tous les ministres nommés, mais nous ignorons s’il a été suivi d’effet.)
Pendant ce temps, quelques rares Églises continuent à fonctionner plus ou moins normalement : celle de Saint-Martin-de-Ré jusqu’à fin septembre 1685, et celles de Rennes et de Vitré jusqu’à ce que le mois suivant, l’édit de Révocation ordonne que désormais les enfants doivent être baptisés par les curés.
Au XVIIIe siècle, le dispositif de Lamoignon de Basville n’est pas oublié : on s’y réfère lors des débats qui conduisent à l’édit de Tolérance (1787), prélude à l’état civil de 1792.

Margreet Dieleman,
Historienne

1 Une généralité est une circonscription administrative de la France d’Ancien Régime.

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