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Le pasteur Jean-Louis Gibert à l’origine des maisons d’oraison
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Le 14 mars 2021, l’assemblée générale de l’Église protestante unie des Îles de Saintonge décide de donner le nom du pasteur Jean-Louis Gibert à la grande salle de réunion du presbytère de La Tremblade, magnifiquement restaurée.
Or, en 1949, Daniel Robert publiait dans le bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (SHPF), un article qui commence ainsi : « Le point le plus mal élucidé de la carrière du pasteur Jean-Louis Gibert est celui qu’il serait le plus utile de bien connaître : pourquoi a-t-il quitté la France ? »
Son analyse, fort bien réalisée, utilise les documents publiés par Edmond Hugues dans Les Synodes du Désert. Il conclut que Gibert a décidé son départ parce qu’il se sentait en opposition avec les idées dominantes des synodaux. Les décisions synodales, pour aussi importantes qu’elles soient, ne fournissent pas la vraie raison, car elles n’évoquent pas les deux réussites majeures de Gibert dont il convient de se souvenir. En réalité, la raison principale de son départ doit être recherchée dans l’histoire du protestantisme saintongeais.
Le livre de Daniel Benoit Les frères Gibert, pasteurs du désert, réédité1 en 2002 par les éditions du Croît vif, apporte des renseignements précis. De cet ouvrage, retenons les deux faits principaux et majeurs du ministère de Jean-Louis Gibert en Saintonge : une réorganisation des Églises et la création de maisons d’oraison.
Dès 1750, le pasteur Jean-Louis Gibert réorganise les Églises réformées de Saintonge. Avec succès. Alors pourquoi a-t-il quitté la France ?
Une réorganisation efficace
De 1750 à septembre 1755, Gibert s’attache à réorganiser les Églises, comme l’enseignait Antoine Court au séminaire de Lausanne. Envoyé par le Synode national, Jean-Louis Gibert arrive fin 1750 en Saintonge où les Églises réformées, certes affaiblies depuis 1685, sont bien vivantes, mais désorganisées. Cet homme pieux et énergique est bien accueilli. Il y réussit si bien qu’il est considéré comme le réorganisateur des Églises réformées de Saintonge maritime. Ce n’est pas rien, quelles que soient les méthodes. Apparemment, au sein de l’Église, ses amis saintongeais sont plus nombreux que ses contradicteurs.
Cette réorganisation effective et efficace est vite repérée par les prêtres ; elle inquiète l’évêché et l’administration royale qui tentent de l’arrêter. Ultra-prudent, il échappe aux arrestations et pièges. Le pouvoir, ne parvenant pas à l’arrêter, décide de le juger en dernier ressort2 et par contumace. Il est condamné à mort et, acte symbolique, il est pendu en effigie à La Rochelle. En 1755, Gibert est donc un homme condamné à mort et traqué, mais insaisissable.
De 1755 à 1763, Gibert ose créer des maisons d’oraison, car la situation géopolitique change et elle a une importance déterminante pour ce qui nous intéresse. La querelle pour les frontières de la Nouvelle France (Canada actuel) s’envenime et déclenche la guerre de Sept Ans. La flotte anglaise bloque le port militaire de Rochefort-sur-mer et tente des débarquements sur les îles : Aix, Ré et Oléron. La Saintonge maritime est frontière avec l’Angleterre.
Une situation rêvée
Le pouvoir royal nomme alors le maréchal de Sennectère comme gouverneur de la Saintonge et l’Aunis, mais il ne dispose d’aucune troupe car elles sont mobilisées sur le front à l’extérieur. Quant à l’Amirauté, elle craint que les nombreux marins protestants passent à l’ennemi. Réalité ou fantasme ? Surtout, la guerre perturbe la navigation, les marins sont au chômage.
Le marasme des affaires a créé une situation rêvée pour Gibert. Car ce pasteur, contrit de voir ses paroissiens travailler le dimanche, au lieu de sanctifier le jour du Seigneur, va passer à l’action. Après mûres réflexions et prières, qu’il justifie au début d’une lettre à son frère : « Voyant que la soixante-dixième année de notre captivité allait bientôt être écoulée… » Il n’est pas le seul, en France, à penser et espérer que la prophétie de Jérémie aux captifs à Babylone est applicable en France. Soixante-dix ans après la révocation on espère que la foi va pouvoir refleurir.
En conséquence, le 2 septembre 1755, il achète une grange à Breuillet et peu après à Mornac. À Noël 1755, il passe de l’acte personnel à la reconnaissance collective lors du colloque qui répartit les charges3 des onze maisons d’oraison déjà créées et que les protestants appellent temples. Pour les prêtres ce sont des temples clandestins dont ils obtiennent difficilement la destruction de quelques-uns.
Une belle réussite
À son retour du Périgord, comme les maisons d’oraison n’ont pas été détruites, il explique lui-même la situation dans la lettre qu’il envoie en janvier 1756 à son jeune frère Étienne, étudiant à Lausanne. Il l’informe pour qu’à son tour il fasse connaître la situation à ses professeurs. Cette lettre est un document précieux (archivée à la bibliothèque de la SHPF).
En possession de la copie de cette lettre, une enquête a pu commencer sur le terrain en allant rencontrer ce que l’administration appelle « les érudits locaux ». Historiens de leur commune, ils sont capables de situer le lieu de ces maisons d’oraison.
Une trentaine de maisons d’oraison a donc existé, mais la situation est complexe, car certaines ont été détruites, d’autres devinrent temples, officieusement en 1789 et légalement en 1802. Ce fait est très souvent méconnu. Partout dans le royaume de France, elles ont été immédiatement détruites, tandis que dans la Saintonge maritime protestante, elles sont tolérées. Pourquoi ? Qui a pu protéger ce qui, aujourd’hui, est un petit patrimoine unique ? Les érudits locaux rencontrés ne possèdent pas la réponse. Ces maisons d’oraison saintongeaises ont bel et bien existé et assuré des cultes dominicaux. Elles sont la seconde réussite de Jean-Louis Gibert, leur promoteur.
En 1763, la guerre s’achève. La situation devient dangereuse pour Gibert, toujours condamné à mort. Le frère morave Fries, en visite en Saintonge en 1761, l’a longuement côtoyé. Dans son rapport publié récemment par le couple d’historiens Gembicki4, Fries parle de lui, notamment pour lui conseiller de s’exiler à la fin de la guerre. Si Gibert est dynamique et parfois audacieux, il est aussi extrêmement prudent.
Son exil est donc une prudence parfaitement compréhensible qui répond au questionnement de Daniel Robert.
Robert Martel
Membre du comité d’administration
de la Maison de l’histoire du protestante charentais
1 La photo sur la couverture est celle de son frère Étienne, révérend de l’Église anglicane de Guernesey.
2 Document publié par la SHPF tome 3, page 195.
3 Edmond Hugues – Synodes du Désert.
4 Dieter et Heidi Gembicki, Le réveil des cœurs, Ed. Le Croit vif.
Salle de réunion Jean-Louis Gibert du presbytère de La Tremblade © Valérie Mali