« Des langues leur apparurent… » (Actes 2.3)
Lorsque les apôtres se réunissent le jour de Pentecôte, un phénomène stupéfiant se produit, qui leur permet de parler dans les langues de toutes les nations. Il s’agit de l’élément fondateur des Églises chrétiennes, à la rencontre de tous les êtres humains sur la Terre.
Pentecôte, c’est la diffusion du message de Jésus non plus à des amis, proches ou voisins, mais à des personnes inconnues, venues à Jérusalem et originaires de toutes les nations (Actes 2.9-11) : « Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d’Asie, de Phrygie, de Pamphylie, d’Égypte, de Lybie cyrénaïque, citoyens romains, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres grandioses de Dieu ! » On sent que le rédacteur a énuméré tous les peuples connus de lui pour bien indiquer que tous sont concernés par le message.
Un double miracle
Ce jour est le souvenir de ce qui est pour nous un double miracle : que les apôtres parlent dans toutes les langues en est un, qu’ils soient compris et entendus en est un autre. Il n’est pas suffisant de parler l’arabe ou le latin, encore faut-il trouver les mots pour toucher les cœurs et les âmes. Même dans le texte des Actes, le rédacteur montre bien qu’une partie de l’assistance reste incrédule « d’autres se moquaient en disant : Ils sont pleins de vin doux ! ».
Aux premiers siècles d’expansion du christianisme, les anciennes chroniques nous apprennent que le plus difficile est de convertir le prince. Cette étape franchie, il suffit de faire venir le peuple à la rivière voisine, des prêtres sur la rive baptisent en groupe et le tour est joué. Certes, la méthode est assez expéditive et théologiquement discutable.
Des dérives préoccupantes
Après des siècles sans complexes, l’universalisme est fortement remis en question. Nous assistons avec perplexité à une multiplication de contraintes pour échanger les uns avec les autres, avec des réunions réservées à des groupes de femmes, de personnes « racisées », homosexuelles, illettrées, en surpoids… les possibilités sont quasi infinies. L’idée de départ, louable, est de permettre à celles et ceux qui subissent des discriminations de s’exprimer en toute liberté, mais les dérives sont préoccupantes.
Lors de l’investiture du président américain, le monde a découvert une jeune poétesse noire, Amanda Gorman. Une maison d’édition néerlandaise a souhaité publier ses œuvres et demandé à une femme écrivaine connue de s’atteler à la tâche. Aussitôt une journaliste américaine militante de la diversité s’est opposée à ce choix, réclamant une « traductrice jeune, slameuse et résolument noire ». La traductrice pressentie, dégoûtée, s’est aussitôt désistée.
Un message de Pentecôte à retrouver
Cette affaire, révélatrice du climat actuel, est assez effrayante ; nous y voyons la négation de ce qui fait l’essentiel pour chacun d’entre nous, notre commune humanité. À ce compte-là, Flaubert n’aurait pas dû écrire Madame Bovary ni Yourcenar les Mémoires d’Hadrien.
La science a démontré que les races n’existent pas, il n’y a qu’une seule espèce humaine et nous sommes égaux en droit. Pour le reste, les hommes – et les femmes, puisqu’elles font partie de l’humanité – sont tous différents. Parler les langues des autres et se comprendre dans un véritable échange devrait être le but de toute éducation, religieuse ou pas. C’est un des enseignements des différents catéchismes chrétiens et le message de Pentecôte qu’il faudrait retrouver. Il n’est pas nécessaire d’être un homme juif d’une trentaine d’années vivant sous domination romaine pour écouter les paroles du Christ.
Anne-Marie Balenbois