Exégèse d’un tueur en série

Manipulation d’un procès 

« Tu ne tueras point ». Les mots sont importants. Jugé en février pour l’enlèvement et le meurtre d’une enfant, Nordahl Lelandais a livré le combat de la sincérité devant la justice et les médias. En toile de fond, cela interpelle notre rapport aux mots, à l’altérité, au péché.

© Mahmoud-Victor Moussa

L’homme déjà condamné à vingt ans de prison pour meurtre s’est dévoilé et pleurait : « J’aimerais me tourner vers la famille de Maëlys, je leur présente mes excuses. J’ai bien donné la mort… mais je ne le voulais pas… ».

La question du don

Les médias ont largement diffusé ces paroles et glosé sur un possible retour du tueur en série à une forme d’empathie envers les familles. Pourtant, qu’on ne se fasse aucune illusion : dans cette apparente bonne volonté, tous les mots sont faux, sans exception. Là gît le cœur de la manipulation. Il suffit de quelques réflexions pour la dévoiler. Lorsque le décalogue dit « tu ne tueras point », il s’agit bien de tuer c’est-à-dire de faire mourir, un geste négatif qui prend la vie d’autrui. Parmi tous les termes possibles pour parler de son geste, l’accusé a choisi « donner la mort », la seule expression mêlant le positif du don au tabou de la mort. Or on ne donne pas la mort, sauf à se prendre pour un dieu. Des personnes en situation de souffrance absolue peuvent choisir de SE donner la mort, mais « donner la mort » c’est enlever la vie. Avec ce réalisme, se regarder en face devient bien moins possible.

Aux limites de l’empathie

Si des excuses ont été présentées à une famille, l’homme a cependant souligné qu’il ne « voulait pas » donner la mort. Outre minimiser l’aveu, ces mots font entrer l’auditeur dans un cheminement subtil du rejet de l’altérité. Ce geste magnanime pourrait encourager une compréhension de la violence comme étant une erreur ou un coup de folie, mais derrière se niche la sombre réalité d’un être froid qui accorde aux plaintes de sa victime le statut d’une simple gêne : « elle pleurait et ne cessait de geindre ». Se faisant, l’enfant contrecarrait un projet ou troublait la toute-puissance du bourreau.
Lorsque les mots de l’empathie sont utilisés à contresens, ils induisent chez l’auditeur une perte de la condamnation, de l’envie de justice. Ce mécanisme de trouble légitime la violence et transforme l’enfant en une chose, un objet à éduquer. Il déshumanise l’auditeur.

Le deuil de la sincérité

Saisir que les mots portent souvent en eux un double sens et qu’un être humain peut les utiliser à sens unique permet d’analyser des termes comme « J’aimerais me tourner vers la famille… ». Cette tournure paraît respectueuse et éduquée. Au sens propre, elle laisse entrevoir que l’homme ne peut pas se tourner vers une famille : « J’aimerais bien le faire… »
L’exégèse de ces expressions, rapportées avec espoir ou scepticisme par les spectateurs et les médias présents à ce procès, montre la force des mots et leur influence sur les esprits. Elle invite à une réflexion éthique pour porter une attention fine aux mots véhiculés par la théologie, les commentaires ou les liturgies, sans risquer d’emmener autrui sur un chemin dangereux. Elle rappelle la nécessité de respecter l’altérité comme étant l’assurance la plus précieuse contre la toute-puissance humaine.
À la lumière de ce procès, la notion de péché, que l’on définit habituellement comme le fait de « rater sa cible » prend ici tout son sens. De tels procédés de prétoire tendent à emmener l’auditeur dans un cheminement par lequel, inconscient du danger, il se retrouve rapidement au dehors de ce qu’il pensait penser. Ils lui font « rater sa cible ». Là se trouve la vraie manipulation.

Hermann Grosswiller

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