L’ACCOMPAGNEMENT SPIRITUEL EN UNITÉ DE SOINS PALLIATIFS : Vivant jusqu’à la mort

J’accompagne depuis plusieurs années maintenant des patients en Unité de Soins Palliatifs. Sans avoir de religion parfois, certains de ces patients ont des attentes spirituelles. Un accompagnement spirituel est différent d’un accompagnement religieux.

©︎ Unsplash / Jeremy Bishop

par Nathalie PAQUEREAU, Pasteure-aumônier des Hôpitaux de La Rochelle, Rochefort et Niort

 

J’accompagne depuis plusieurs années maintenant des patients en Unité de Soins Palliatifs. Sans avoir de religion parfois, certains de ces patients ont des attentes spirituelles. Un accompagnement spirituel est différent d’un accompagnement religieux.

 

L’accompagnement spirituel

La spiritualité est concernée par les questions universelles du but et du sens de la vie et elle est la partie de la nature humaine qui aspire à des valeurs transcendantales.

La spiritualité est donc caractérisée par la capacité à rechercher un but et un sens, de réfléchir également pour certains en un « quelque chose », quelqu’un qui dépasse l’humain ; c’est aussi la réflexion sur la capacité d’aimer et de pardonner, de voir au-delà des circonstances présentes et de permettre à l’être de s’élever au-dessus de la souffrance.

Cicely Saunders, femme, médecin anglaise qui a développé le concept de soins palliatifs, a décrit elle-même quatre dimensions de la douleur, qui ensemble constituent la douleur ou souffrance totales:

  • La douleur physique et/ou d’autres symptômes physiques,
  • La douleur psychologique ou émotionnelle (symptômes d’anxiété et de dépression),
  • La douleur sociale (crainte d’être séparé de gens aimés, par exemple)
  • La douleur spirituelle.

La détresse spirituelle peut se traduire par :

 

Une perte du sens : pourquoi moi ?

Qu’est-ce que j’ai fait pour que cette maladie me tombe dessus ? Je suis sans but. Je suis désorienté, je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je n’ai rien fait de ma vie.

 

« Je visite Mme M. Entrée en USP 4 jours auparavant, la douleur physique insupportable qu’elle avait a été bien prise en soin. Mme M. d’une voix à peine audible m’accueille en tant qu’accompagnant spirituel en me disant : Pourquoi ça m’arrive à moi ? mais j’ai fait quoi ? Et ça a quel sens que je reste comme ça dans un lit alors que je vais mourir ? ».

 

Voilà donc la question du sens ; la maladie a-t-elle un sens ? En tous cas, elle n’a aucune valeur. Mais ce qui peut avoir du sens, c’est tout ce que Mme M. peut encore vivre, de relations, de réconciliations, d’échanges. Et en faisant ensemble une relecture de vie, elle se rend compte qu’elle a vécu bien des choses qui ont du sens; qu’elle a fait des choses qui ont marqué sa vie et celle des autres à partir de ces questions très concrètes, l’accompagnement va effectivement consister dans une écoute qui permette à l’autre de revisiter et de raconter sa vie – et quand on raconte sa vie, on la reconstruit! – recevant ainsi la possibilité de retrouver toujours à nouveau, mais sous un angle différent, le sens profond de son passage sur cette terre et dans cette vie. L’expérience spirituelle consiste là à relier la douleur présente à la vocation de toute une vie, pour mieux renouer avec elle, et en se laissant aussi porter par ce qui a été accompli dans le temps de sa vie. Ce travail spirituel va permettre d’habiter sa vie actuelle, de la réinvestir, d’y trouver un sens, en un mot : de mettre de la Vie dans la vie, même quand on se trouve dans une unité de soins palliatifs!

 

 Une perte des valeurs: qu’est-ce qui est bien? Qu’est-ce qui est mal?

Quelle importance que tout ça? Tout est flou, relatif, je me sens trahi, je n’ai plus confiance, je ne sais plus si ce que j’ai bâti dans ma vie est bien.

 

« M.R a 57 ans. Il a une SLA (Sclérose latérale amyotrophique). Il s’exprime à l’aide d’un clavier avec ses yeux. M.R. était jusqu’à présent directeur de sa propre entreprise ; une très belle carrière dont, me dit son épouse, il était très fier. M.R. a deux enfants qui sont jeunes adultes. Dès que je lui en parle, je vois des larmes couler. Il m’écrit que pour lui, ce qui était bien, ce qui était sa plus grande réussite, c’était son entreprise. Son épouse précise qu’il vient d’un milieu assez défavorisé et que son entreprise, c’était son bébé. M.R. m’écrit qu’il a toujours pensé que son entreprise était là en premier pour permettre à sa famille de bien vivre. Mais là, il est dans le flou total…Il a l’impression de ne pas avoir vu ses enfants grandir ; il n’a pas des relations très proches ; et il a peur que son épouse en ait aussi souffert. Il remet en question ses propres choix de vie. »

 

Je le vois souvent dans les accompagnements que je fais, c’est l’amour qui devient la valeur suprême à mesure que l’on avance dans le parcours de la maladie. Comme si toutes les autres valeurs devenaient d’un coup superficielles: la notion d’avoir pâlit devant la qualité d’être, et l’amour devient LA valeur. « Je crois que dans une vie humaine, le plus important c’est d’apprendre à donner et à recevoir de l’amour; tout le reste vient après », m’écrit un jour M.R. Je l’encouragerai alors à l’écrire à ses enfants. Nous travaillerons ensemble à des notions de culpabilité et de pardon.

 

 Une perte de transcendance: je n’ai plus de contact avec ce qui me semblait essentiel

Mes idées, mes convictions, ma foi n’ont plus corps, ne représentent plus rien. Tout est remis en question.

« J’ai prié toute ma vie, et maintenant j’ai l’impression d’un grand vide autour de moi, en moi , me dit Mme C. lors de notre première rencontre. La souffrance spirituelle prend ici la forme d’une cassure, d’une coupure avec ce qui a constitué le fondement de la vie, la croyance profonde. La personne se sent séparée de la transcendance, quel que soit le nom qu’on lui donne. Mme F., lors d’une visite, me demande une chose : « pouvez-vous enlever cette statue de Bouddha que j’ai amenée ? je passe mon temps à l’engueuler ». M.T., lui, me dit avoir pratiqué la méditation une grande partie de sa vie, mais ne pas comprendre comment concilier un Esprit d’amour avec la souffrance qu’il vit. »

 

L’importance, devant ce qui est souffrance, colère, n’est pas de tout faire pour que le patient « croit » ou fasse confiance à nouveau ; l’important est que le patient trouve ou retrouve une cohérence. Cette cohérence passera peut-être par l’abandon d’une perception de la transcendance; ou passera par la découverte d’une autre forme de transcendance. J’accompagne sans jamais faire le chemin à la place du patient.

 

Une perte d’identité: Je ne suis plus rien

Je n’ai plus de rôle, je ne suis plus aimé de personne, je suis une charge. Encore des mots simples pour dire cette souffrance-là :

« J’accompagne M.B qui me partage ces premières paroles après que je me sois présentée :  J’encombre,  je ne sers plus à rien ; dans la conversation il rajoute : Je coûte trop cher !  Les mots seront parfois plus durs :  je me sens comme un rat dans son trou qui va crever, il faudrait m’achever ».

 

Si l’on écoute bien, derrière ces mots se cache la sensation de n’être plus reconnu comme une personne à part entière, ou de ne plus se reconnaître soi-même, du fait de la maladie, comme quelqu’un d’unique ou de précieux. La grande question spirituelle se pose alors en ces termes, et c’est l’objet même de la quête : « Qui suis-je quand je ne suis plus rien? » Ici, l’accompagnement spirituel commence par le fait d’être vraiment là, dans un présent qui devient un présent (cadeau) pour l’autre : « Je me sens quelqu’un, parce qu’on s’arrête vers moi et qu’on m’écoute.

 

Le titre du livre de Paul Ricoeur « Vivant jusqu’à la mort » résume si bien cette aventure de vie et son accompagnement !

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