
La sélection du jury œcuménique au festival de la BD d’Angoulême © Nadia Savin
Ce choix commun est la preuve de la qualité de cette bande dessinée comme des valeurs de liberté et d’émancipation mises en avant : Blanc autour. Il s’agit de l’histoire de l’école pour filles de Prudence Crandall, à Canterbury : la première école pour jeunes filles noires des États-Unis, trente ans avant l’abolition de l’esclavage.
Une sélection féministe et féminine
Même dans le Connecticut, où l’esclavage n’est plus pratiqué, les habitants de cette ville craignent qu’instruction rime avec insurrection. Quelle place les Écritures ont-elles dans le fondement de cette révolte pour la liberté et dans le refus des autorités locales ? Qu’est-ce qui distingue « l’ignoble massacre » de l’esclave virginien Nat Turner de la « conquête héroïque des colons » ? Comment la même terre peut-elle être promise pour les uns et Égypte pour les autres ?
La douceur du trait et les touches d’humour (féministe parfois) contrastent avec la gravité du sujet et l’épilogue de l’histoire. Le coup de cœur de l’année, sans conteste ! Et le prix du jury œcuménique 2022.
Dans cette sélection particulièrement féministe et féminine, le jury œcuménique a notamment remarqué Il est où le patron ?, sur la parité dans le monde agricole. Humour et amitiés se mêlent dans cet ouvrage léger mais perspicace, au dessin malheureusement un peu faible et irrégulier. Trois agricultrices, trois profils féministes à des degrés différents, vont conscientiser et se conscientiser.
Toutefois, la mention spéciale du jury œcuménique a été attribuée au Grand silence, un conte sur la pédophilie, écho à l’actualité de l’Église catholique. Sa démarche graphique originale et son épilogue, l’espérance d’une guérison par la parole, ont motivé le jury.
Des héros historiques et du quotidien
Les deux jurys n’ont pas manqué de relever des bandes dessinées historiques où les femmes sont à l’honneur : Fourmies la rouge, sur la mort de neuf grévistes le 1er mai 1891, au dessin bicolore noir et rouge, Idiss, biographie de la grand-mère de Robert Badinter, juive, originaire de Moldavie, immigrée en France, L’attente sur la partition des deux Corée. Par ailleurs, Madeleine, résistante, qui se déroule durant la même période, a été primé par le prix Goscinny, qui récompense le meilleur scénariste de l’année, et dont le dessin est précis et classique.
C’est le thème de la foi mise en action qui a motivé le prix chrétien, décerné à Têtes de Mule (lire la recension), histoire vraie de l’engagement dans la Résistance d’une guide alsacienne. Son évasion de la prison de Ziegenhain est mise en parallèle avec celle de Pierre dans les Actes des Apôtres.
L’an dernier le jury œcuménique avait retenu À la vie, racontant avec tendresse et tellement d’humanité les rencontres d’un infirmier en soins palliatifs avec ses patients. Cette année, le jury chrétien a, lui, sélectionné Je serai là, du même auteur, où il nous explique la naissance de sa vocation. Cette double sélection, même non primée, démontre la valeur sûre de cet auteur dont les planches simples et émouvantes font tant de bien.
Enfin, parce que l’amour n’a pas d’âge, le jury œcuménique avait sélectionné également Le plongeon, qui se passe dans un Ehpad. « Une histoire d’amour, de fesses et de rides », dixit l’éditeur, dont le dessin sonne juste.
Nadia Savin,
Membre du jury œcuménique
La sélection des jurys
– Blanc autour, W. Lupano et S. Fert, éd. Dargaud ; |