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Par Claudie de Turckheim
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Pour Bertrand Marchand, la force de la CNV est d’avoir mis à la portée de la société, dans un vocabulaire compréhensible, des notions très spirituelles sans y coller le langage religieux. Dans son livre : « « Les bases spirituelles de la Communication NonViolente », Marshall Rosenberg** écrit : « La Communication NonViolente est l’un des outils les plus puissants que j’ai trouvé pour nous relier aux autres d’une manière qui nous aide à entrer en lien avec le Divin, dans un lieu où tout ce que nous faisons les uns pour les autres provient de l’énergie divine. C’est dans ce lieu que je veux être. »
Quelle relation y-a-t-il entre la spiritualité des chrétiens et la pratique de la Communication NonViolente ?
Pour nous aider dans notre cheminement spirituel, des outils nous manquent, et la CNV peut nous en apporter. On connaît notre espérance, mais on ne sait pas toujours comment faire pour mettre en pratique l’amour du prochain, le pardon.
Grâce à un processus, la CNV n’en reste pas au rêve relationnel, elle le décline en actions.
Qu’est-ce que ce rêve relationnel ?
La spiritualité chrétienne a un rêve relationnel d’amour, de communion, de pardon, de nouvelle naissance, de relation à soi-même, aux autres, à Dieu. Nous appelons cela « Espérance », mais on est sur la même chose et on peut facilement faire des ponts.
La force de la CNV, c’est d’exprimer son rêve relationnel basé sur des valeurs comme l’empathie, l’écoute, la paix et d’avoir des techniques pour tenter de le mettre en place, par une pratique sur soi-même et avec les autres.
Comment utiliser les outils de la CNV pour mieux vivre notre foi ?
Il n’y a pas d’espérance vivante si elle n’est pas ancrée dans le vivant, ancrée dans le corps ; la CNV apporte ça, elle ramène au corps. Cela demande de chercher en soi ce qui est vivant, ce peut être de la tension, de la joie, toutes sortes d’émotions, cela veut dire qu’il faut se mettre à l’écoute de ses émotions. Pas facile pour notre protestantisme. Il faut accepter que nous sommes traversés par des émotions, qu’elles ne sont pas mauvaises et qu’elles nous disent quelque chose de ce que nous vivons.
Mais bien sûr, il ne faut pas en rester aux émotions, on va passer de l’émotion à la recherche du besoin que suscite cette émotion puis à la demande. Si je ressens une émotion, c’est qu’il y a un besoin derrière, satisfait ou non, qui a besoin d’une réponse pour que je vive mieux. Il y a une recherche de la vie bonne, pour soi-même et en relation avec les autres, pour pouvoir ensuite exprimer une demande. La plupart du temps, il s’agit d’une demande de connexion, de relation, un besoin de se raccrocher à l’autre. Mais la demande peut aussi être faite à soi-même ou adressée à l’autre pour combler le manque qui est en moi.
Prenons l’exemple du texte d’Esaïe (Esaïe 2.1-5). Dans son rêve, Esaïe nous parle d’un monde qui passe de la violence à la paix. Comment ce rêve peut-il résonner en nous ?
Un exercice de CNV consiste à ressentir ce qui est vivant, à chercher ce que cela me fait d’y penser. Cette expérience, je l’ai faite pour préparer une prédication : dans ce texte d’Esaïe, je sens que j’ai besoin de me projeter dans un besoin de communion. On peut fermer les yeux pour ressentir en soi cette communion. J’ai alors ressenti dans mon corps un élargissement ; mon visage s’est détendu, s’est illuminé ; ma respiration s’est faite plus lente, plus ample. J’ai ressenti de la joie, de la paix, de l’harmonie… J’ai laissé venir les images qui m’apparaissaient lorsque je me remplissais intérieurement de la communion des uns avec les autres. J’ai vu un grand soleil, un grand cercle de personnes qui se donnaient la main, des regards ouverts et aimants, une présence attentive, soutenue. Cette vision de la communion m’a fait du bien dans mon corps, dans mon être. Elle m’a redonné un élan de vie, une force pour aller vers ce rêve relationnel, pour continuer la marche.
Comment ressentir avec notre corps l’espérance vivante que l’on pressent lors d’un culte ou en réunion de Conseil presbytéral, par exemple ?
Le culte n’est pas adapté à ça. Ce n’est pas dans notre culture luthéro-réformée. Mais pourtant, comment peut-on intégrer un message en refusant de le vivre physiquement ? C’est l’impasse de notre pratique cultuelle.
La question fondamentale c’est la confiance. Quand on exprime ses sentiments, on est vulnérable. On pourrait le vivre en grand groupe mais on risque de rester dans la réflexion intellectuelle ou que les personnes se ferment ou que d’autres ne savent pas comment s’ouvrir.
Pour les Conseils presbytéraux, il serait profitable que chaque membre entre dans la démarche. Si une ou deux personnes sont réticentes, ça brise la confiance. L’idéal serait que tous les conseils soient formés, puis tous les paroissiens.
* Pour symboliser deux visions du monde différentes, en l’occurrence deux modes de communication opposés, Marshall Rosenberg utilisait la métaphore de la girafe et du chacal.
Le chacal symbolise notre manière habituelle de nous exprimer, à laquelle nous avons été conditionnés dès notre enfance. Un mode de communication basé sur les jugements, la morale, les étiquettes, les exigences, le désir d’avoir raison et le déni de responsabilité (c’est l’autre qui est responsable de mon malheur : « je me sens comme ceci, parce que TU as fait cela. »)
La girafe quant à elle, est l’animal terrestre qui a le plus grand cœur (ce qui est bien nécessaire pour pomper le sang jusqu’à son cerveau). Elle symbolise donc le langage de la bienveillance et du cœur. Avec son long cou, elle prend de la hauteur et peut voir loin. Elle est donc aussi la métaphore d’un langage empreint de conscience.
** Selon Marshall Rosenberg, son fondateur, la Communicationn NonViolente est « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant ». Elle nous donne des moyens concrets de retrouver la connexion à l’autre, au-delà des jugements, des critiques et des reproches.
En nous aidant à identifier nos besoins réciproques, elle nous encourage à utiliser un langage qui favorise l’élan du cœur et la coopération, plutôt qu’un langage qui nourrit la peur, la culpabilité, ou le reproche.