Folles idées
Par Guillaume de Clermont
Un pari fou ?
La famille Riley © Guillaume de Clermont
Après plusieurs années de réflexion du Conseil régional de la région Ouest, le Synode régional s’est lancé dans le défi d’une nouvelle implantation de l’Église protestante unie de France en centre Bretagne avec un projet d’évangélisation inédit.
Pontivy, Matthew Riley et sa famille vivent depuis l’été 2016 avec pour seule mission d’y annoncer l’Évangile. Mis à disposition de l’EPUdF par un organisme missionnaire (Alongside Ministries International), les Riley sont arrivés dans la région Ouest après deux années passées au service de la région Est.
Le couple et ses quatre enfants sont logés dans une grande maison louée en centre-ville. Pas de temple à Pontivy, une chapelle protestante dans le château des Rohan (propriété de la ville, mais inutilisable pour raison de travaux), pas de communauté préexistante (quelques foyers disséminés rattachés à l’Église locale de Vannes à 50 km de Pontivy), aucune activité régulière sur place. Une petite équipe d’accompagnement, le soutien financier du consistoire de Bretagne (sept Églises locales), le soutien financier du Conseil régional avec l’aide financière du Fonds national « Témoignage et développement ».
Un pari réussi !
L’entrée et la grande salle de l’Espace » Kelo Mad » © Guillaume de Clermont
Relations de voisinage, rencontres dans des bistros, familles rencontrées par l’intermédiaire des enfants à l’école, conversations de rue à l’occasion de la promenade du chien, les contacts se multiplient avec des personnes curieuses de découvrir le protestantisme et la foi chrétienne. Après quelques mois seulement, l’insertion des Riley dans le tissu social local suscite de l’intérêt et permet à Matthew Riley (pasteur anglican) de démarrer un groupe « découverte » pour parler de la foi chrétienne et proposer des lectures bibliques expliquées. L’équipe de pilotage décide d’acquérir une maison pour y loger la famille Riley et pour disposer de locaux permettant d’accueillir du public.
Avec l’aide de l’Union nationale, cette opération est menée au cours de l’été 2017. En octobre 2017, le consistoire de Bretagne et la région Ouest inaugurent l’espace Kelo Mad (espace Bonne nouvelle) à Pontivy. Désormais, l’Église protestante unie de France est implantée à Pontivy !
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Un pari qui dérange
Mais voilà, nous ne sommes pas préparés à cette présence. Et rapidement les premières questions surgissent ici et là, plus ou moins explicites, de la part des membres des Églises et même au sein du Conseil régional !
Mais au fait que fait notre missionnaire ? À quoi occupe-t-il ses journées ? Est-ce qu’il y a des cultes à Pontivy ? Des locaux polyvalents c’est bien, mais il faudrait tout de même une salle de culte !? Et combien de personnes participent vraiment ? Et au fait, ne faudrait-il pas envisager à moyen terme un Conseil presbytéral ? Et cette implantation à Pontivy, sur quel territoire se trouve-t-elle (sous-entendu, de quelle Église locale et de quel pasteur dépend-elle ?) ? On nous parle d’un groupe « découverte », mais quelles garanties avons-nous sur le contenu théologique ? D’ailleurs, notre missionnaire Matthew Riley n’est pas pasteur de notre Église protestante unie de France… Alors, ne faudrait-il pas exercer une vigilance doctrinale ? Et toutes ces personnes qui rejoignent le « groupe découverte », comment allons-nous faire pour qu’elles deviennent des membres de notre Église (sous-entendu : des cotisants ?) ? À quelle association cultuelle devons-nous les rattacher ? Ne faudrait-il pas rapidement leur proposer d’adhérer d’une façon ou d’une autre à notre Église ? Comment les déplacer vers nos Églises « traditionnelles » ? Et pour les autorités civiles (mairie, élus, fonctionnaires de l’État), comment présenter ce projet et notre espace Kelo Mad ? Et que dire à nos partenaires catholiques ou protestants du secteur ?
Un pari prophétique
Inauguration de l’Espace » Kelo Mad » le 7 octobre 2017 © Guillaume de Clermont
L’évangélisation en centre-Bretagne nous dérange. Mais il se pourrait bien que ce dérangement soit salutaire et prophétique ! Parce qu’il pose à nos Églises « classiques » des questions de fond sur leur mission, sur leur présence au monde, sur leur organisation et leur fonctionnement qui, si nous prenons au sérieux ces questions, pourraient nous aider à mieux relever les défis de l’évangélisation.
Petit exercice de fiction : imaginez que votre Église locale est dépossédée de son presbytère, de son pasteur, et de son temple… Que restera-t-il ? Comment poursuivra-t-elle sa mission et son rayonnement ? Quelles seront ses principales activités ?
Il reste des hommes et des femmes plus ou moins engagés dans l’Église locale. Il reste des moyens de communication (téléphone, site internet, courriels, réseaux sociaux). Il reste des collaborations (œcuménisme, relations interreligieuses, relations sociales). Peu de choses, mais peut-être l’essentiel ! Une communauté vivante et fraternelle dans laquelle chacun se sentira peut-être appelé à offrir l’hospitalité (groupe de maison ?), une présence (militantisme et engagement), un soutien matériel ou spirituel (don financier, prière, message) pour que la communauté protestante locale poursuivre son témoignage ?
Mais par quelle activité faudra-t-il commencer ? Le culte ? Des groupes de partages bibliques ? Des groupes de prières ? Des engagements sociaux au service des autres ? Une forte communication entre frères et sœurs de la communauté ? Fin de la fiction…
Nous voilà au cœur de l’évangélisation. Où est l’Église ? Qu’est-ce qui fait l’Église ? Quelle doit être sa mission prioritaire ?
Un pari pour penser autrement
Lorsque nous pensons « Église » ou « évangélisation », nous pensons plus spontanément à nos locaux, à l’institution (le Conseil presbytéral, l’association cultuelle), au pasteur (le permanent qui assure les actes pastoraux, les cultes et l’accompagnement), à la « doctrine » (sola gratia, sola fide, sola scriptura etc.), et aux activités régulières (le culte dominical, les études bibliques et la catéchèse). Et voilà que l’évangélisation nous met en demeure de penser l’Église à partir de ceux et celles qui sont sur le seuil de l’Église. Ceux qui cherchent (peut-être, mais rien n’est sûr !) un sens à leur vie et auprès desquels nous tentons de témoigner d’une Parole et d’une espérance qui nous font vivre. Nous voici dans la situation des premiers apôtres du livre des Actes : chrétiens dans un monde déchristianisé où cohabitent de multiples idoles dont les pouvoir d’attraction et les moyens d’influence sont sans commune mesure avec nos faibles moyens. Mais nous croyons, à juste titre, que l’Esprit qui nous fait vivre est plus puissant que toutes les dominations et peut bouleverser le cours d’une existence. Voilà pourquoi nous parlons, nous témoignons et nous agissons. Mais cela nous oblige à penser l’Église autrement.
Un pari salutaire
Nous sommes l’Église avec ceux ou celles que nous accompagnons. Nous sommes l’Église avec ceux et celles auprès desquels nous témoignons de notre espérance et de notre foi en Dieu. Nous sommes l’Église avec ceux qui partagent un bout de notre chemin, même sans le culte, sans la catéchèse, sans le Conseil presbytéral et sans le pasteur. Nous sommes l’Église toutes les fois que dans nos paroles et nos actes, et souvent à notre insu, la présence du Christ se manifeste auprès de l’un de nos contemporains.
À Pontivy, nous ne savons pas ou nous allons et ce que sera la présence de l’EPUdF dans quelques mois ou dans quelques années. Mais ce que nous savons, c’est que l’Évangile y est annonce, vécu et partage. Et ce que nous savons encore, c’est que toutes les interrogations qui nous dérangent à Pontivy sont de salutaires questions pour interroger le témoignage de nos Églises locales aujourd’hui et pour que notre Église protestante unie de France reste prophétique demain.