Théologies africaines
Par Philippe Eugène Biyong, pasteur de l’Église protestante unie de France. Inspection luthérienne de Paris.
Pour Karl Rahner, théologien jésuite allemand, « le christianisme et son message de salut ont toujours été destinés naturellement à toute l’ humanité. Le mouvement missionnaire a exporté un christianisme occidental vers le monde entier. » Mais aujourd’hui, des théologies prennent en compte les différences entre pays et « l’inculturation du christianisme est acceptée comme un devoir de l’Église ».
De la protestation à l’émancipation
Si l’émancipation des théologies africaines est aujourd’hui effective, le parcours ne fut pas simple. Servantes de la cause coloniale, les Églises missionnaires implantées en Afrique subsaharienne dès la fin du XVIIIe siècle n’ont pas favorisé la prise de conscience que l’Église devait trouver des déclinaisons locales. Ce droit à la différence ne sera pris en compte que dans les années 1950, grâce à un livre au titre évocateur : Des prêtres noirs s’interrogent. Cette invective de 1956 qui visait à protester contre l’ethnocentrisme occidental fut le fruit d’une lecture de l’Évangile par l’intelligentsia africaine, porteuse d’une vision du christianisme où la voix locale devait prendre toute sa place.
Le concile de Vatican II s’inscrira dans ce sillage, se donnant comme mission de « faire que tous les germes de bien dans le cœur et l’esprit des hommes, dans les rites et cultures propres des peuples, non seulement et ne périssent pas, mais soient guéris, élevés et achevés ».
Des porteurs de flamme
C’est aussi dans cette perspective que le pape Paul VI, lors d’un de ses voyages en 1969, dira au clergé : « Vous, Africains, êtes désormais vos propres missionnaires. » Ces paroles ouvrirent à l’inculturation de la foi en Afrique subsaharienne. Une théologie de l’adaptation en naîtra ; ces porte-étendards furent notamment des prêtres théologiens comme les Congolais Vincent Mulago et François Marie Lufuluabo, le Rwandais Alexis Kagame, puis le pasteur méthodiste rhodésien Canaan Banana ou encore Albert Ndongmo, Meinrad Hebga, Engelbert Mveng et Fabien Eboussi Boulaga, théologiens jésuites camerounais. Cette ouverture n’apportera qu’une satisfaction ponctuelle. La théologie d’adaptation rêvait d’une Église africaine à couleur africaine qui annonçait une attitude africaine noire plus critique des rapports de domination établis entre la mission occidentale et l’Afrique, engagée dans ce processus irréversible d’inculturation de l’Évangile.
En prise avec la réalité
Reconnu comme père de la théologie africaine moderne, le prêtre anglican kényan John Mbiti se fera le porte-parole de cette invective : « Le christianisme a porté un jugement sur d’autres cultures, religions et sociétés, tout en se maintenant hors de toute critique. Je demande à nos frères d’Europe et d’Amérique de nous permettre de faire ce qui, dans leur jugement, peut être considéré comme des erreurs. On ne doit pas attendre que nous employions leur vocabulaire et leur manière pour transmettre ici l’Évangile. »
La création de l’Association œcuménique et internationale des théologiens tiers monde en 1976 à Dar Es Salaam offrira un espace pour une expression plus authentique en Afrique sub-saharienne. La conférence panafricaine d’Accra en 1977, puis celles de 1979 et 1981 porteront l’affirmation de nouvelles « théologies chrétiennes en prise avec les réalités des pays de l’ hémisphère Sud ». Aujourd’hui, la théologie africaine noire s’exprime par trois courants fédérateurs : la théologie de l’incarnation, celle de la libération historique, active dans la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud à travers le pasteur Allan Boesak et Desmond Tutu, et la théologie de la reconstruction que l’on retrouve au cœur des Déclarations de foi de la théologie africaine d’Accra.