L'infuence de l'Église
Karlen Khalatyan
Propos recueillis par Séverine Daudé, magazine Échanges
Le 6 janvier, dans l’Église apostolique, on se salue en disant : « Jésus est né et il a émergé ! » ; et en répondant : « Pour nous et pour vous, c’est une merveilleuse nouvelle ! ». Cela met l’accent sur la naissance de Jésus comme homme et son « émergence » comme Christ, comme Messie.
Depuis des siècles, ce jour-là, toutes les personnes qui sont en conflit, qui ne se parlent plus, vont les unes vers les autres pour se saluer au nom du Christ et se souhaiter du bonheur. C’est comme une anesthésie générale, tout le monde devient gentil pendant quelques heures ! Les voisins, les amis, les collègues s’appellent, se voient. Cet esprit de l’Église apostolique est très fort.
Offrir autrement
À Noël, on offre des cadeaux, mais pas des parfums ou des vêtements. On va les uns chez les autres pour se souhaiter un joyeux Noël et partager le repas de fête. Presque tous les Arméniens ont la table prête chez eux et ce sont eux qui se déplacent avec une partie de chaque plat, qu’ils emportent chez leurs amis, leurs cousins : c’est leur cadeau !
On a des chants, de vrais chants, c’est presque un opéra. Mais pas de crèche ni de décoration de Noël. Si… le sapin ! Mais ce n’est pas un symbole de Noël. On le place pour le 31 décembre, le nouvel an, moment des cadeaux offerts aux enfants. Le 6 janvier, à Noël, le sapin est là seulement parce qu’on l’a gardé. Et le Père Noël n’est pas bien vu par l’Église !
Des contextes inversés
En France, quand les gens sont croyants, ils fêtent de bon cœur, ils ne font pas semblant et c’est positif. Le négatif, c’est qu’un pays comme la France a beaucoup perdu de ses valeurs chrétiennes. Et même, certains Français se moquent du christianisme, de leur propre culture.
À l’inverse, en Arménie, la population a gardé cette culture de façon majoritaire, mais parfois sans la comprendre. Tout le monde célèbre Noël, alors il faut le faire. Officiellement, nous avons gardé ces valeurs chrétiennes, mais en réalité c’est souvent devenu une fête pour se régaler, se voir, se faire plaisir. On mange le poisson, mais on ne sait plus pourquoi…
Le catéchisme est dans l’assiette
En France, on fête Jésus et on se met à table. En Arménie, la cuisine a ses explications sur la naissance de Jésus et on ne cuisine certains plats qu’à l’occasion de Noël.
On sert toujours un poisson, qui symbolise la langue. Le poisson, on ne sait jamais dans quelle direction il part… Manger du poisson nous relie à la sagesse : à partir de la naissance de Jésus, on va être plus sages, même dans nos paroles !
On a aussi les feuilles de choux, roulées, fourrées de pois chiches, de boulgour, de légumes. Les différents légumes représentent ce qui vient de la terre, qu’il faut cultiver. On fait le lien avec le travail et le courage de Jésus : il faut travailler pour avancer, obtenir un résultat.
Pour le troisième plat, on prend une citrouille, on y met du riz (il symbolise l’humanité quand elle est sans saveur, et les raisins secs, les enfants de Dieu qui donnent du goût !). Dans l’après-midi du 6 janvier, on y ajoute la viande et on met la citrouille au four. Pour cela, on a tué une chèvre, en lui coupant la tête… parce que ses cornes et sa barbiche font penser au diable. La viande de chèvre figure le mal, qu’on brûle et qu’on mange, parce qu’avec Jésus tout cela est fini ! Mais ce catéchisme transmis par l’Église se perd aujourd’hui, la plupart des gens ont oublié le sens de ces plats.
On a aussi le « gata », un gâteau arménien très ancien.
Le jour de Noël est le plus important pour les jeunes femmes non mariées. Car si une femme a réussi son plat et qu’il plaît, c’est qu’elle cuisine bien et qu’elle connaît ces significations religieuses, la vie de Jésus. Alors on considère qu’elle devrait se marier dans l’année ! Il y a des choses équivalentes pour les hommes à Pâques.
K. K.