Françoise Vinard, pasteure aumônier à Bagatelle
J’ai été interpellée par une médecin urgentiste exerçant à Robert-Picqué. Son regard exprimait le désarroi et la souffrance du personnel soignant des urgences. Elle m’a invitée à visiter le service. J’y ai découvert des patients particulièrement désarmés.
C’est de la réaction de la secrétaire de l’accueil que m’est venue l’impulsion décisive : « Mais c’est tous les jours qu’il faut venir ! ».
J’ai alors compris qu’il fallait que je m’entoure d’auxiliaires. D’abord un, puis trois et aujourd’hui cinq. L’enthousiasme a été communicatif. Deux par deux, munis d’un badge, et d’une formation offerte par la commission locale de l’aumônerie de Bordeaux, nous sommes autorisés à parcourir tout le service.
Dans le « saint des saints »
14h30, j’entre aux urgences. Beaucoup de monde dans la salle d’attente, dans le sas où les patients sont déposés, et dans le « saint des saints » fermé aux familles. Et là, je rencontre une dame que le personnel me confie, n’en pouvant plus tant elle est agitée. On me donne une chaise. Elle accepte que je prie pour elle. Puis dans le couloir, un homme me parle rugby, tour de France… Je me dirige ensuite vers un homme, ancien séminariste qui a quitté l’Église, je lui laisse ma carte de visite. Un jeune homme assis, dont le grand-père était harki, est reconnaissant que je prie pour lui.
L’arrivée dans un service d’urgence n’est jamais douce ; un événement grave a fait irruption dans le cours d’une vie. Une tentative de suicide, une chute (souvent !), un accident domestique, une douleur inexpliquée… L’attente peut être longue, très longue, angoissante et déstabilisante. Les besoins les plus élémentaires deviennent des problèmes difficiles et humiliants : comment uriner quand on n’a pas le droit de se lever ? Déjà dans l’inquiétude, voilà que l’on se sent démuni ; et soudain, on n’a le sentiment de ne plus maîtriser sa vie.
Une parole qui permet de s’échapper
S’arrêter, offrir une écoute ouverte au désarroi, aux interrogations, à l’angoisse, à la solitude, et au sentiment que le cours de la vie vient d’être soudain suspendu, voilà comment s’amorce une rencontre toujours singulière. La parole permet de sortir un moment de l’hôpital, de revenir en pensée dans le monde familier, de retrouver le chemin de sa vie, de sa spiritualité, de sa foi ou de sa non-foi ; parfois suit une prière… Certains aimeraient poursuivre ; cela ne nous appartient pas, mais un chemin s’est ouvert… cette ouverture est déjà une grâce.
Quant aux soignants, à nous de les rassurer ; nous ne faisons pas de prosélytisme mais de l’écoute. Ce qui ne nous empêche pas parfois de donner un Nouveau Testament, toujours reçu avec reconnaissance. Dès le début, j’ai compris qu’ici nous ne sommes plus dans l’accompagnement mais dans la rencontre, et pourquoi pas après tout ? Jésus n’a-t-il pas été lui aussi un homme de rencontres ? Une rencontre ne peut-elle pas changer une vie ? Ne suffit-il pas parfois de quelques minutes pour ouvrir des portes, apporter du nouveau et qui sait, la foi dans l’amour du Christ ?
Et quant à nous, nous sommes nourris des « merci » que nous adressent patients, familles et soignants.
Le besoin est grand…