Les protestants peuvent contribuer à la paix sociale

Mairie de Bourges © Élisabeth Renaud

Dans le débat rouvert par les récents attentats sur les liens entre l’État et les religions, le protestantisme porte une spécificité. Sa défense d’une laïcité ouverte a fait ses preuves en favorisant le dialogue social, sans pour autant changer la donne face à la violence religieuse.

En portant maintenant le débat sur d’autres terrains comme le sacré ou la théologie, luthériens et réformés ont la possibilité de soutenir l’éducation, au niveau local.

Le fanatisme tue

Qu’il soit une compréhension altérée de l’Islam, de l’Évangile ou de Bouddha, le fanatisme est un risque qui menace de gangréner toute religion, philosophie ou idéologie. Il y a quelques semaines un professeur était assassiné au nom de Dieu. Quelques jours après, des chrétiens priant Dieu ont été tués dans une église au nom de Dieu. Le formuler ainsi fait ressortir l’inanité de la démarche. Inanité qui a pourtant tué et plongé dans le deuil des dizaines de personnes. Le chœur unanime des personnalités politiques, médiatiques et religieuses a condamné ces actes, chacun intervenant au nom de principes de Foi, d’Humanité ou de République qui refusent le crime. Tous ont ainsi tenté de porter la voix d’un peuple dans sa grande majorité ému et révolté par ces atrocités.

La laïcité comme vision

Beaucoup a été dit et écrit sur une laïcité que l’État s’engage à vivre et à défendre. Comprise comme la possibilité pour chacun de vivre sa foi ou son athéisme en toute tranquillité, elle paraît mise à mal par les attentats de toutes sortes. Au point que renforcer son enseignement devient une priorité de l’école républicaine.
Dans la variété d’expression de ses multiples instances, le protestantisme s’est joint aux réactions du monde avec force et conviction. Il place la foi sur le plan de l’intime qui est naturellement le sien. Il entend par là promouvoir une laïcité ouverte, afin que le religieux ne soit pas tenté de se lier au pouvoir. L’Histoire de France est jonchée des atrocités que cela peut parfois engendrer.
Le protestantisme peut-il franchir aujourd’hui une étape de plus ? En quoi peut-il porter une lumière spécifique ? Autrement dit, vivre sous la grâce changera-t-il quelque chose ?
Historiquement, le monde protestant a soutenu la laïcité républicaine, notamment au moment de l’élaboration de la loi de 1905. Ce combat a parfois eu un petit relent d’anti-catholicisme, mais dans l’ensemble, la démarche était portée par une conviction forte. La religion est issue de la foi des Hommes et ne peut se poser en intermédiaire entre Dieu et l’humanité. Le risque serait sinon d’un lien toujours trop étroit entre pouvoir et religion.

La laïcité n’est plus suffisante

Ce faisant, le protestantisme n’a eu de cesse depuis lors, de valoriser la laïcité dans l’espace public. Le judaïsme avait fait de même, les réticences de l’Église catholique se sont atténuées avec Vatican 2, l’islam libéral s’y soumet depuis peu, même si ses associations sont encore pour l’essentiel régies par la loi de 1901.Face aux attentats auxquels le pays fait face depuis deux générations, force est de constater que la défense mise en place par l’État avec un enseignement de la laïcité dès l’école ne suffit pas à éduquer à la prévention de la violence. La laïcité était un débat entre le judaïsme, le christianisme et l’État. Mais les enjeux de l’intégration de l’islam dans la société française ont une autre teneur.
Des voix se sont récemment élevées au sein de l’État pour rappeler le caractère sacré de la République, et demander que l’éducation se base sur ce respect. Bien sûr le cadre politique de la société doit être respecté ; mais le mot « sacré » pose un problème en matière religieuse. Par opposition au profane, il définit ce qui appartient à un domaine interdit et inviolable, faisant l’objet d’une vénération religieuse. À ce titre, il divise les religions entre elles.
L’Église catholique consacre des lieux comme les Églises, le récent attentat de Nice l’a rappelé avec une célébration de « réparation » du caractère sacré de la basilique. Elle consacre aussi des hommes, puisque la prêtrise confère une capacité particulière vis-à-vis de l’hostie ou de l’absolution.
La démarche de l’islam est différente, sacralisant le texte et les rites personnels. Ce sont les pratiques religieuses qui deviennent la marque d’un musulman croyant et ont un effet direct sur sa capacité à être reconnu Juste par Dieu. Au point qu’en cas de dérive, une fatwa, émise par un fanatique contre un homme ou une société, continue de revêtir un statut de pratique religieuse et peut donc être considérée par un autre fanatique comme un acte sacré. Par essence, le fanatisme sacralise le geste et la ritualité, considérant que l’homme croyant est la main de Dieu.

La théologie protestante

À l’inverse, en théologie protestante, le rapport de l’homme à Dieu est direct, passant par le seul intermédiaire du Christ. Depuis Luther, cela sous-entend que rien de ce monde n’est sacré, autre que Dieu. Ni les lieux, ni les actes, ni les personnes. Le calvinisme a parfois même désacralisé le rite, suivant en cela certains mouvements du judaïsme libéral pour qui le sacré est par essence païen.
Le souhait d’une éducation au sacré dans les écoles n’est donc pas une bonne idée. Elle divise les religions et renforce les clivages dans le christianisme et avec l’islam.
Suivant Ellul ou Lévinas, il serait même préférable d’enseigner la désacralisation de l’espace public et religieux, pour renforcer l’esprit critique et la spiritualité au lieu de la croyance. La foi n’est pas croire à quelque chose, mais mettre sa confiance en un Dieu. C’est à ce titre que le débat sur les caricatures (même de mauvais goût) pourrait trouver sa place, et non sur une question de laïcité. Le dialogue de l’État et des religions en sortirait grandi.

Le protestantisme peut aider

Dans la réflexion française sur la laïcité, le vrai débat est le rapport au sacré. Si l’État focalisé sur la laïcité ne peut mener à bien cette réflexion, d’autres devront s’en charger, judaïsme et protestantisme en tête. Le protestantisme, qui a historiquement soutenu l’État dans l’établissement de la laïcité, a aujourd’hui un rôle à jouer dans ce nouveau débat contre le sacré. Mais dans une société fracturée par le communautarisme, les enjeux sont avant tout locaux. En complément des débats nationaux, ce sont donc surtout les paroisses qui seront attendues sur le terrain, pour un débat théologique sur la place de Dieu et des rites.

Marc de Bonnechose, journal Paroles protestantes Paris

Contact